DEMO32 Anatole Michaud – Dans le four stellaire

Juin 2023

Cette démo présente le travail de recherche-création d’Anatole Michaud [membre étudiant, UQAM]. Dans le four stellaire est une création sonore immersive, présentée publiquement le 25 février 2023 à l’Agora du Cœur des Sciences dans le cadre de la Grande Nuit 2023 organisée par le Groupe de Recherche sur la Médiatisation du Son (GRMS) en collaboration avec la SMCQ, ainsi que lors du GALA des membres étudiants d’Hexagram le 27 avril 2023. Cette recherche-création conclue son parcours à la Maîtrise en communication, concentration recherche-création en média expérimental à l’UQAM, sous la direction de Simon-Pierre Gourd [membre collaborateur, UQAM] et Éric Létourneau [membre cochercheur, UQAM].

Description du projet

Dans le four stellaire est une composition sonore expérimentale immersive pour dôme de 32 haut- parleurs, imaginée à partir du poème en prose « Le pain » issu du recueil Le parti pris des choses de l’auteur français Francis Ponge (1899-1988). De la matière poétique elle-même scandée par le poète, se dévoile une création sonore métaphorique dans laquelle les mots prennent vie à travers une esthétique sonore et musicale. Dès lors se dresse un tableau poétique où les mots et les sonorités électroniques se conjuguent avec des enregistrements d’environnements naturels, du pain et de son processus de fabrication en boulangerie. Ce projet a pour but de dévoiler au public l’univers poétique unique de Francis Ponge et d’aborder les possibilités narratives de l’espace sonore qu’est le dôme, en tant que dispositif de diffusion mais aussi comme partition porteuse de signification poétique. 

Dans le four stellaire

Intéressé par les travaux en musique concrète de Pierre Henry (1927-2017) par exemple ou par la notion baudelairienne d’« alchimie du verbe » (Eigeldinger, 1966) en poésie, Anatole a eu l’intention de faire résonner ces démarches à travers le son et une création médiatique actuelle. En somme, extraire le Beau des petites choses de la vie, créer une bande sonore de la banalité, une illustration poétique et musicale du pain. 

L’expression « dans le four stellaire », extraite du poème, symbolise à la fois l’intention sensorielle recherchée, le caractère imagé et métaphorique de la pièce, ainsi que le dispositif d’écoute lui-même. Le mot « stellaire » renvoie à l’univers des constellations pour définir le pain et traduit l’idée d’un monde infini, mystérieux et fascinant. Ainsi le pain, comme toutes les choses de la vie, tous les bruits et la musique, est un univers vaste à explorer. Le dôme de haut-parleurs représente et concrétise ce voyage sonore par sa forme en demi-sphère, qui ressemble aussi au four à pain traditionnel. L’univers stellaire est aussi illustré par les sonorités des synthétiseurs et des procédés d’écriture sonore.

Francis Ponge, February 1977. (Photo Sophie Bassouls. Leemage)
Le pain, In Le parti pris des choses, Poésie, Gallimard

Composition et structure de Dans le four stellaire

Dans l’optique de créer une expérience d’écoute immersive en son spatialisé dans le cadre de la résidence Hexagram, le projeta été conçu en plusieurs étapes. Tout d’abord, le texte de Ponge, point de départ du processus compositionnel, a été décortiqué et analysé pour associer à l’instinct des intentions musicales et sonores aux mots et expressions du poète. Dans son poème, Francis Ponge décrit des reliefs et des regards sur les différentes parties du pain. En reprenant le texte, la composition a été structurée selon ces différents regards, en trois grandes parties :

  1. D’abord, le pain est vu comme un paysage, un panorama. On regarde le pain de l’extérieur, la croûte étant comparée à des montagnes, symbolisant la hauteur et un caractère merveilleux.
  2. Ensuite, le pain est vu comme un produit issu d’une fabrication ou d’une transformation. Nous recentrons notre regard et notre écoute sur le pain lui-même, pour l’observer de l’intérieur, pour y palper sa mollesse et l’aspect spongieux de la mie, pour entendre sa pâte durcir au gré́ de la cuisson, la croute s’effriter et durcir tandis qu’il rassit. Le pain devient concret, palpable, c’est un objet mouvant. 
  3. Enfin, la dernière partie est liée à la consommation. Le pain est mangé, au petit déjeuner notamment. Il est aussi ancré dans nos sociétés, commercialisé. 

Dès lors, à partir du texte poétique, Anatole s’est lancé dans un processus de composition sur le logiciel Ableton Live, afin de représenter, d’illustrer, de mettre en son le texte poétique, créant finalement ces différentes phases, dynamiques et transitions. Que ce soit par un travail de composition harmonique, d’ajout d’effets, de travail sur des textures, d’ajout d’enregistrements naturels, de dégradation de la voixla version finale de Dans le four stellaire a fini par prendre forme.

En amont de trois périodes de résidence à la Mezzanine d’Hexagram, Anatole a réalisé plusieurs sessions de field recording afin de nourrir son projet d’ambiances et textures naturelles. En mars 2022, une session d’enregistrement à la boulangerie Louise à Montréal fut réalisée afin de capturer l’atmosphère d’une production de pain. Du découpage des pâtons à la mise au four des pains, Anatole a enregistré bruits de machines, outils et explications du boulanger. 

Au printemps 2022, Anatole a réalisé un premier prototype de composition dans lequel le pain et ses textures furent enregistrés à l’aide d’un enregistreur Zoom H4N. Mie tapotée par les doigts, croûte effritée, baguette tranchée par le couteau, toutes ces sonorités parsèment le projet sonore, tout en illustrant le poème de Ponge. De plus, afin de résonner avec les allusions de Ponge aux environnements naturels, une dernière session field recording fut réalisée en octobre 2022 à la forêt de Mont-Catherine à Sainte-Agathe-des-Monts, afin d’y recueillir des ambiances naturelles telles que des cours d’eau ou le bruissement du vent dans les branches et les feuilles d’automne. Cette démarche d’associer le pain à un paysage naturel est aussi influencé par l’œuvre Bread and Water (1993) de l’artiste américaine Alison Knowles. 

Mise en espace dans le dôme de 32 haut-parleurs

Après des premières itérations du sono-poème réalisé en home-studio ­en novembre 2021, puis dans un studio de 8 et 16 haut-parleurs à l’UQAM en avril 2022, une version plus aboutie du projet a pu voir le jour grâce aux résidences collectives successives du GRMS à Hexagram, au dôme de la Mezzanine du Cœur des Sciences débutées à l’été 2022.

Grâce à une configuration et une intégration des logiciels Ableton Live et SPAT Revolution, l’aspect compositionnel et la mise en espace du son ont pu être réfléchi en même temps. Le dôme de 32 haut-parleurs est ainsi devenu le dispositif nécessaire à une mise en espace du sonore au service de la narration. 

À l’instar des procédés de composition, la spatialisation a elle aussi pris forme selon l’interprétation du poème de Francis Ponge, dans une perspective presque symbolique par rapport au poème, à ses mots, ses expressions, ses images. La description qu’il fait du pain selon plusieurs focus et reliefs, a permis de constituer une logique de mise en espace dans laquelle les images qu’il donne à travers ses mots seraient symbolisées par différents espaces de diffusion du son (distance, hauteur, mouvements circulaires, ouverture de la source sonore) à travers le dôme de 32 haut-parleurs.

À travers ces résidences à Hexagram, Anatole a souhaité s’approprier le dispositif-dôme comme pourrait le faire un metteur en scène au théâtre. Les éléments vocaux et musicaux deviennent alors des personnages et des situations qu’il faut placer et mettre en espace afin de servir le texte, la narration et le sens poétique initial (Deshays et Pellois, 2012). Ainsi, en plus d’être une expérience d’écoute immersive pour le public, Dans le four stellaire a été conçu avec la volonté de mettre en mouvement et de dévoiler un texte célèbre de la littérature française, avec les attributs d’une création médiatique et sonore contemporaine.

Anatole souhaite remercier son directeur de recherche Simon-Pierre Gourd [membre collaborateur, UQAM] ainsi que son co-directeur Éric Létourneau [membre cochercheur, UQAM], Gabrielle Couillard, Xavier Tremblay [membres étudiants, UQAM], Kasey Pocius [membre étudiant, McGill] ainsi que le Groupe de Recherche sur la Médiatisation du Son (GRMS) et l’équipe d’Hexagram pour leur formidable assistance technique tout au long de ces résidences et de son parcours. 


Références : 

Eigeldinger, M. (1966). Baudelaire et l’alchimie verbale. Dans Le langage. Actes du XIIIe Congrès des Sociétés de philosophie de langue française I, Section IV (Langage et art), p. 248-251.

Deshays, D. (1999) De l’écriture sonore, essai, Éditions entre-vues, p. 69-70-71.

Deshays, D. et Pellois, A. (2012) « Le son comme « condition d’existence des espaces » », Agôn [En ligne], 5.

Biographie


Anatole Michaud est étudiant finissant à la maîtrise en communication, concentration recherche-création média expérimental à l’UQAM depuis l’automne 2019, membre étudiant Hexagram, ainsi que membre de l’équipe de coordination du Réseau à titre de responsable des communications. Aussi producteur de musique et DJ, actif dans la scène musicale montréalaise, Anatole a toujours eu à cœur de créer une musique dansante et ethérée aux tonalités spatiales. Dans le cadre de sa recherche-création, Anatole s’est attaché à rapprocher les disciplines, la poésie française et la musique électro-acoustique, afin d’explorer son propre processus créatif et musical à travers l’immersion et la spatialisation pour dôme de haut-parleurs.

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