Mai 2024
Variations synesthésiques est le projet de recherche-création d’Elisa Sibert [membre étudiante, UQAM], une installation visuelle, sonore et performative, présentée les 10 et 11 décembre 2023 dans la Mezzanine du l’Agora du Cœur des sciences de l’UQAM, dans le cadre de soirées d’exposition d’œuvres de fin d’études. Cette recherche-création vient conclure le parcours d’Elisa à la maîtrise en communication, concentration recherche-création en média expérimental, sous la direction de Simon-Pierre Gourd et Louis-Claude Paquin [membre cochercheur, UQAM].
Description du projet
Variations synesthésiques, c’est la tentative de faire percevoir la couleur sans pour autant la voir, dans une installation médiatique et performative. Six couleurs dont les identités visuelle, sonore et chorégraphique sont incarnées à travers l’image, le son et le mouvement improvisé. Cette installation pluri-médiatique propose d’appréhender la couleur sous un angle multi-perceptif, dans une expérience sous un dôme de trente-deux haut-parleurs, avec en son cœur une structure de vidéo-projection invitant à déambuler autour. Ceci génère un espace intime, visuel, sonore et tactile où les interprètes mêlent leur univers chorégraphique à la pièce audiovisuelle en laissant aller leurs corps au gré des couleurs.
L’image, le son et le mouvement se rencontrent dans un espace physique et numérique pour proposer une lecture des couleurs sous le prisme synesthésique d’Elisa Sibert, mais aussi celle des interprètes et des personnes invitées à découvrir cette installation aussi bien contemplative qu’appelant au lâcher prise et au mouvement.
Il est recommandé de regarder la vidéo avec un casque d’écoute.
Démarche créative
Après plusieurs projets étudiants et personnels dans lesquels la couleur occupait toujours un rôle symbolique, il apparaissait comme une évidence pour Elisa de consacrer une recherche-création à la synesthésie tout en y mêlant un langage chorégraphique, souvent mis de côté dans ses projets médiatiques antérieurs.
Le projet se définit comme la tentative de représenter les couleurs comme Elisa les perçoit, à travers des disciplines faisant partie de son vocabulaire créatif. Sa synesthésie repose en effet sur l’association de couleurs à des mots, des émotions, des idées, des personnalités. Elle cherche à exprimer par un dispositif multimédia, l’essence de la couleur comme vectrice d’émotion, tant sur le plan symbolique que du langage. Sa première démarche est d’extraire le caractère des six couleurs culturelles dominantes d’après les écrits de l’historien Michel Pastoureau (Le petit livre des couleurs, Pastoureau et Simmonet, 2005) en recourant à l’image, au son et à la chorégraphie. L’idée est également de chercher à mettre en dialogue le réel et le virtuel : les canaux numériques sont l’incarnation des stimulations sensorielles et la performance chorégraphique, celle de l’expression physique de ces signaux internes.
La démarche créative repose également sur la volonté de rassembler dans un même espace les pratiques qui ont construit la créatrice qu’elle est, mais aussi celles qui alimentent les émotions que ses techniques sont capables de produire. Variations synesthésiques est ainsi conçu comme la rencontre entre les différentes facettes d’Elisa : la créatrice numérique, la vidéaste, la danseuse, la graphiste, la gestionnaire de projet, l’étudiante, la synesthète.
Processus de création
Le processus de création s’est articulé autour de l’idée d’improvisation, tant dans la spontanéité de l’acte performatif que dans le processus de recherche et de gestion de projet, structuré de sorte qu’une production plus spontanée puisse en jaillir. Les différentes étapes et versions de la recherche-création se sont étalées entre l’automne 2021 et l’automne 2023.
D’abord, à l’automne 2021 et l’hiver 2022, Elisa a l’opportunité d’expérimenter les techniques du son spatialisé (dans huit puis quinze haut-parleurs) et de la vidéo-projection en simultanée dans le cadre de séminaires en recherche-création sur le son et la vidéo. Les projets sont différents, mais l’objectif est toujours le même : dépeindre l’identité de chacune des six couleurs dans différents canaux médiatiques.
Lors de l’été 2022 et à l’instar d’un enregistrement de terrain (fiel recording), des sessions filmées d’improvisation en danse et théâtre sont organisées, avec des lectures de poèmes sur la perception d’Elisa quant à chaque couleur. Cette matière première audiovisuelle est retravaillée dans les logiciels Adobe After Effects et MadMapper dans le but d’en faire le contenu visuel de l’installation mapping, malléable au fil des itérations.
Enregistrements d’improvisations (juin/juillet 2022) crédits photo. © Emy Santarelli et Gauthier d’Herouel
Puis entre l’automne 2022 et l’hiver 2023, la forme du projet se définit mieux, avec la mise en place d’un hexagone central dont chacune des faces incarne une couleur. Une première pièce sonore est créée à partir des lectures de poème, dans Ableton Live puis retravaillée dans Reaper et spatialisée grâce à SPAT Revolution. L’aspect visuel de l’œuvre est dépendant de cette pièce sonore, plutôt que l’inverse.
Rendu 3D de l’installation sous le dôme 32 haut-parleurs.
Les sessions SPAT Revolution et Reaper prêtes à diffuser dans le dôme.
La pièce sonore est structurée par trois éléments compositionnels : les voix d’actrices lisant un poème sur chacune des couleurs, des sons numériques et des sons ambiants. La vidéo-projection est composée des images de l’été 2022 et de créations graphiques. La structure se présente comme suit :
- Introduction aux six couleurs, comme si elles étaient mélangées sur une palette, à la fois dissociables et existant comme un tout. Puis le bleu, doux, poli, consensuel, vient tapisser l’espace de ses sonorités familières et rassurantes.
- Le jaune, semblable au bleu dans son identité sonore, véhicule quelque chose de plus pétillant, de plus captivant pour le public, visuellement et chorégraphiquement, l’immersion se laisse sentir, le public entre dans cet univers plus marqué. Le blanc quant à lui installe une atmosphère sourde et lancinante, à la fois méditative et oppressante.
- Le rouge et son identité forte fait monter la tension dans son rythme, ses sonorités plus aigües et dans sa nature étouffante, les mouvements sonores se multiplient et s’accélèrent pour enchaîner avec le noir, la couleur la plus oppressante malgré une tension relâchée.
- Le vert, amené par le noir, plonge le public dans un univers plus mystérieux, plus étrange et hypnotisant après le voyage visuel et sonore déjà parcouru. La tension continue avec son decrescendo pour se conclure sur une lente coda.
Dans cette itération finale, la structure hexagonale est divisée en trois couples de panneaux, permettant de se déplacer à l’intérieur, mais également d’incarner la dualité et trialité dont il est question dans les rapports entre les couleurs. Les interprètes entrent dans l’espace puis improvisent des motifs chorégraphiques, mouvements et intentions qui soulignent l’identité de chaque couleur. Le public est invité à se déplacer dans l’espace sous le dôme ou en retrait, dans cette expérience sensorielle de vingt-cinq minutes, au gré des couleurs et des synesthésies.
L’œuvre finale dans la Mezzanine de l’Agora du Cœur des sciences de l’UQAM (décembre 2023). © Maude Turcot
OLSEN, A. et McHOSE, C. (2014). The place of dance: A somatic guide to dancing and dance making. Presses universitaires de Wesleyan. Middletown, États-Unis.
PASTOUREAU, M. et SIMMONET, D. (2005). Le petit livre des couleurs. Éditions du Panama. Paris, France.
Remerciements
Elisa Sibert souhaite remercier son directeur de recherche Simon-Pierre Gourd et son co-directeur Louis-Claude Paquin [membre cochercheur, UQAM], Dimitri Delphin [membre étudiant, UQAM], Kasey Pocius ainsi que le Groupe de Recherche sur la Médiatisation du Son (GRMS) et l’équipe d’Hexagram pour son soutien technique tout au long du processus de recherche-création.
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