DEMO50 GABRIEL·LE TRAN — MASCULIN·E

Octobre 2024

Du 10 au 21 juin 2024, Gabriel·le Tran [membre étudiant·e, UQAM] a participé à une résidence à la salle d’expérimentation d’Hexagram-UQAM pour développer le projet Masculin·e, une pièce de théâtre de marionnette électronique. Accompagné·e des interprètes Stéphanie Arav, Luca Max, Mikaël Morin et Noël Vézina, Gabriel·le a dévoilé son dispositif de marionnette électronique, en développement depuis trois ans, lors d’une conférence-démonstration. Cette DEMO relate les événements de la résidence ainsi que son parcours jusqu’à la démonstration.


Masculin·e : une pièce sur l’identité de genre

Masculin·e est une création théâtrale à mi-chemin entre théâtre de marionnette, film d’animation et création numérique. Elle raconte l’histoire de Mathieu, un jeune adulte en crise identitaire. Le récit explore sa relation à la masculinité hégémonique et les moments clés de sa vie qui ont forgé son identité. Masculin·e raconte également l’histoire de Roxanne, une manifestation d’une des facettes de l’identité de Mathieu libre de son enveloppe corporelle. À travers la manipulation marionnettique et la projection vidéo, leurs histoires évoluent en parallèle jusqu’à atteindre un point de convergence.

Les thèmes de l’identité, de la transformation et de la dualité sont au centre de Masculin·e, invitant les spectateur·ices à réfléchir sur leur propre perception de la masculinité. Au cœur du projet se trouve une marionnette électronique pouvant capturer en temps réel la performance des interprètes marionnettistes. Cette technologie, développée spécialement pour l’occasion, permet de répliquer le mouvement de la marionnette en projection vidéo. La combinaison de techniques de manipulation traditionnelles et de nouvelles technologies permet de donner vie à l’univers de Masculin·e et de plonger dans la psyché des personnages.

La marionnette électronique comme forme théâtrale

Avant de débuter la maîtrise, j’avais depuis plusieurs années exploré la marionnette numérique en utilisant les technologies de réalité virtuelle pour animer des avatars. J’ai développé pendant 6 ans différentes techniques de manipulation de marionnettes numériques et différents outils pour les mettre en scène.

Cependant, j’ai eu beaucoup de difficulté à concevoir un mode de représentation qui pouvait préserver l’essence de ce qui me passionne dans le spectacle vivant : l’éphémérité, une expérience collective, l’espace tangible. Il était impossible d’accéder à la performance marionnettique sans passer par un écran, soit par une projection vidéo, par une tablette, un téléphone intelligent ou par des lunettes de réalité virtuelle. Je n’avais donc jamais exploité les outils que j’avais développés dans une forme théâtrale.

En débutant la maîtrise, je désirais créer un spectacle qui soit avant tout destiné pour la scène, puis y intégrer l’expertise que j’avais développée avec mes recherches sur la marionnette virtuelle. Il m’est donc venu l’idée de créer une marionnette électronique, c’est-à-dire une marionnette tangible (et non virtuelle) pouvant transmettre ses mouvements afin de piloter un avatar virtuel. J’ai donc commencé à expérimenter à l’aide d’une imprimante 3D et de composantes électroniques.

Considérations mécaniques

Le principal défi était de créer une articulation qui bouge assez librement pour ne pas encombrer la manipulation tout en ayant un haut degré de précision dans la lecture des senseurs.

Mon premier prototype utilisant un potentiomètre était inadéquat, car la résistance était trop forte et rendait la manipulation difficile. J’ai ensuite fait la découverte des encodeurs magnétiques qui permette la lecture d’un mouvement de rotation sans contact et donc sans friction additionnelle. Ces encodeurs détectent la rotation d’un aimant diamétralement magnétisé. Il me suffisait alors de fixer un aimant sur un membre de l’articulation et le senseur sur l’autre membre.

© Gabriel·le Tran

C’était la première des solutions à une longue liste d’enjeux techniques qui ont dû être surmontés pour la confection d’une marionnette électronique. Malgré mon expérience avec la marionnette virtuelle, je n’avais pas d’expérience en fabrication de marionnette, en design mécanique, en électronique ou en programmation embarquée.

© Gabriel·le Tran

Un premier prototype à cœur ouvert

© Gabriel·le Tran

Le circuit de mon premier prototype était complètement exposé. La marionnette était non seulement difficile à manipuler, mais elle était aussi extrêmement fragile et pouvait difficilement être réparée. Si je voulais la confier entre les mains d’interprètes-marionnettistes, je devais réimaginer le design pour qu’elle soit plus simple à manipuler, moins fragile et rapidement réparable en cas de bris pour ne pas nuire aux répétitions.

J’ai également pris la décision de dissimuler le circuit électronique entièrement à l’intérieur de la marionnette. Cela permettait non seulement de protéger les fils et les composantes électroniques, mais aussi d’éviter que la marionnette soit automatiquement associée à un dispositif technologique. De cette façon, elle pouvait exercer sa fonction sans révéler sa nature électronique. Je voulais que Masculin·e soit d’abord et avant tout une création théâtrale marionnettique et que le dispositif technologique soit une stratégie narrative sans être le centre du spectacle.

Prototype final

Après trois autres prototypes, j’en suis arrivé à la version qui serait utilisée lors de la conférence-démonstration dans la salle d’expérimentation d’Hexagram-UQAM. Elle est équipée de 27 degrés de mouvement, de senseurs personnalisés, d’une batterie rechargeable et d’un microcontrôleur compatible Wifi. Chacun de ses mouvements sont transmis avec un haut degré de précision complètement sans-fil et avec un niveau de latence relativement faible.

La fabrication de la marionnette n’était qu’une des composantes du projet. Il me fallait aussi considérer le micrologiciel, le traitement des données, la création vidéo, le scénario et la mise en scène. Au début de la résidence, le 10 juin 2024, je n’avais réellement complété que la fabrication. Le micrologiciel avait plusieurs bogues, ce qui a retardé l’écriture du scénario et la création vidéo. La présentation était prévue le 17 juin 2024. Bref, le temps était serré.

© Gabriel·le Tran

Traiter les données pour combattre l’étrangeté

La création vidéo constituait une autre dimension importante de mon projet. Les premiers jours de la résidence ont été principalement consacrés au traitement des données de capture de performance. Mon but n’était pas d’atteindre un résultat parfait, mais que l’animation de l’avatar soit suffisamment convaincante pour que les spectateur·ices puissent connecter émotionnellement avec le personnage.

Si les mouvements du corps et du visage ne sont pas assez humanesques, cela risque de provoquer un effet d’étrangeté (uncanniness) qui nuise à l’histoire plutôt que de la supporter. Une attention particulière a donc été portée à l’animation du visage afin de retrouver les subtilités de la performance de l’interprète (Stéphanie Arav).

En plus de faire le traitement des données, nous avons également débuté les répétitions avec la marionnette dès le premier jour. Les deux premiers jours ont été consacrés à trouver un éventail de mouvements possibles de la marionnette et de faire naître la personnalité du personnage à travers ceux-ci. Au troisième jour, nous avons mis en scène les trois courts segments à intégrer lors de la conférence-démonstration.

Performer le genre

Le personnage de Mathieu se présente aux spectateur·ices comme étant un gars, « évidemment » (dans ses mots). Il révèle au public à quel point chacun de ses gestes sont répétés, mais surtout que sa performance de genre est consciente et constante. Il se sent distinct des autres garçons en ce sens, car les autres ne semblent pas autant préoccupés par le défi de se fondre dans la masse et d’être comme tout le monde.

C’est alors que le personnage de Roxanne apparaît à l’écran. Elle s’adresse directement au public en disant qu’elle aimerait être invisible et que ses paroles n’aient pas d’importance pour personne d’autre qu’elle. Mais en étant en scène devant un public, elle sait que c’est impossible.

Dans un cadre de spectacle autant que dans un cadre académique, le simple fait de s’exprimer n’est pas suffisant pour répondre aux attentes des autres. Ça reste néanmoins son désir : parler librement sans la pression d’être écoutée ni la peur d’être jugée.

Être.

Seulement être.

Le corps de Mathieu s’anime et celui de Roxanne aussi. Les deux bougent en parfaite synchronicité. Iels se mettent à flotter. Le poids de leurs corps n’importe plus. Pour un instant, iel est exactement qui iel veut être.

© Noah L’Abbée


Gabriel·le Tran est artiste pluridisciplinaire œuvrant dans le domaine des arts vivants et numérique. Sa pratique est principalement axée sur le développement de nouvelles stratégies narratives ayant recours aux arts numériques dans la création théâtrale. Iel se spécialise en la création d’outils sur mesures en réponse à des besoins narratifs. Ses intérêts et compétences sont diversifiés, sans cesse assoiffé·e de s’approprier de nouvelles techniques de création.


Son arsenal créatif inclut les technologies immersives, l’impression 3D, la marionnette, la capture de mouvement, la conception vidéo, la conception sonore, l’intelligence artificielle et la programmation. En 2021, iel entreprend une maîtrise en recherche-création à l’école des médias de l’UQAM sous la direction de Sofian Audry et Dinaïg Stall. Sa recherche s’intéresse notamment au potentiel narratif dégagé par la synchronicité du mouvement entre une marionnette et un avatar numérique.

Cette publication est également disponible en : English (Anglais)