DEMO54 Fanny Pimpurniaux — Dark Patterns 2.0

Janvier 2025

Alors que nos vies hyperconnectées s’accélèrent, la frontière entre monde « réel » et « virtuel » devient de plus en plus floue. La convergence de notre réalité physique avec le numérique crée une réalité hybride, lisible par les machines, permettant au monde numérique de « voir » le monde physique. Établissant un capitalisme algorithmique fondé sur une réalité multidimensionnelle qui redéfinit notre quotidien, ce système repose sur une nouvelle ressource essentielle : les données.

Le Projet Dark Patterns 2.0 de Fanny Pimpurniaux [membre étudiante, UQAT] s’inscrit dans ce contexte. Il a été présenté à l’occasion des RIMA 2024 du 6 au 8 novembre ainsi que lors d’une résidence de création à l’Agora des Arts de Rouyn-Noranda le 6 décembre 2024.

Aujourd’hui, le projet continue d’évoluer sur tous les points, démontrant à travers une installation immersive, la manipulation technologique sur l’humain. Voici son récit de création.


Dark Patterns 2.0 est une expérience interactive qui démontre à travers une installation immersive, la manipulation technologique sur l’humain et son apogée jusqu’à la singularité technologique. En travaillant sur une technologie qui nous échappe à cause de l’accélération et de l’amplification technologique, cette recherche-création montre la technologie gravitant autour de l’humain, dans une société dystopique où la réalité est construite par le numérique et crée une tension entre le corps et l’écran représentant le tout connecté. C’est-à-dire où il existe plus de non-humains connectés que d’humains.

Le concept est de créer un monde dystopique inspiré du transhumanisme, sombre, ravagé par le côté sombre de l’humain. La technologie y a pris une place majeure en s’immisçant dans la société, mais aussi dans le corps humain, lui faisant perdre son identité propre. La perception y est altérée, le bonheur s’y paye. L’humain n’est plus lui-même, manipulé dans son monde. La ville est cryptée, les datacores y sont partout. L’expérience numérique serait ainsi plus immersive que la réalité elle-même.  

Le paradoxe du contrôle

Ce concept décrit une époque où les machines n’égaleront pas seulement l’intelligence humaine, mais la dépasseront, déclenchant ainsi un cycle d’évolution technologique autonome. Selon cette théorie, passé un certain point de développement, la civilisation humaine entrerait dans une phase de croissance technologique d’un tout autre ordre. L’œuvre sera déstabilisante, créera un monde d’informations anxiogènes par la saturation où la connexion est partout, en toutes choses et en tout temps.

Photos prises lors de la phase de tests du 6 décembre 2024. © Victor Coulet
Photos prises lors de la phase de tests du 6 décembre 2024. ©  henri.bchr

Le concept 1-0

Les visuels percutants du projet Dark Patterns 2.0 ont été conçus exclusivement à l’aide de TouchDesigner, un logiciel de création visuelle et sonore. Ce développement, étalé sur une période de quatre mois, a connu une évolution constante. Bien que je n’aie aucune connaissance préalable de ce logiciel au début du projet, j’ai entrepris de me former de manière autodidacte. Aujourd’hui encore, je continue à approfondir mes compétences pour repousser les limites de ce que je peux produire.

Pour l’aspect sonore, les compositions ont été réalisées en rassemblant et mixant des sons libres de droits. Ces éléments ont permis de générer une ambiance sonore immersive évoquant l’angoisse et la surcharge liée aux données numériques, renforçant ainsi l’atmosphère dystopique de l’œuvre.

La structure du projet a constitué l’une des questions fondamentales du processus créatif. Après une réflexion approfondie, j’ai opté pour l’aluminium comme matériau principal. Ce choix dépasse la simple fonctionnalité pour devenir un élément symbolique : l’aluminium incarne à la fois la froideur et le caractère déshumanisé de l’univers dystopique représenté. De plus, sa fragilité physique, marquée par les empreintes laissées au contact, évoque la brutalité et la vulnérabilité inhérentes à cette société futuriste. La structure n’est pas un simple support pour la projection visuelle, mais une partie intégrante de l’œuvre, conçue pour engager les spectateur·ice·s. Elle permet au public de se déplacer dans l’installation, d’interagir avec elle, et d’expérimenter la réaction de l’aluminium face à sa présence.

Visuels du projet dans le logiciel TouchDesigner.
©  henri.bchr
Photos prises lors de la phase de tests du 6 décembre. © henri.bch
Photos prises lors de la phase de tests du 6 décembre. © Victor Coulet
Photos prises lors de la phase de tests du 6 décembre. © henri.bchr
Photos prises lors de la phase de tests du 6 décembre. © henri.bch
Photos prises lors de la phase de tests du 6 décembre. © henri.bch

Cette interaction crée un sentiment d’oppression et de confusion, brouillant la frontière entre compréhension et incompréhension. Ces personnes deviennent à la fois actrices et sujets de l’œuvre, sans avoir pleinement conscience d’être observées, bien qu’il est possible d’en ressentir les implications. En ce sens, l’individu est transformé en un « atome » isolé dans un univers binaire de 0 et 1, capturé par une réalité technologique abstraite et envahissante.

L’œuvre comprend également une introduction distincte, où les spectateur·ice·s peuvent tester les futures avancées interactives du projet. Dans cette phase introductive, une visualisation déforme l’image corporelle des personnes participantes, rappelant une surveillance par caméra où chaque donnée est collectée et analysée. Ce segment amplifie la thématique centrale de la surveillance et de la déconstruction identitaire, tout en engageant activement les spectateur·ice·s dans l’expérience artistique.

Ainsi, Dark Patterns 2.0 interroge non seulement notre rapport à la technologie, mais aussi la manière dont elle redéfinit nos perceptions et notre identité dans un monde saturé de données.

© Fanny Pimpurniaux

La singularité théorique du projet

L’art contemporain bouleverse la perception spatio-temporelle en questionnant notre relation au monde. Les spectateur·ice·s deviennent une partie intégrante de l’œuvre. Il explore un espace immersif plutôt que de contempler un simple objet. À travers des expériences sensorielles nouvelles, il redéfinit sa compréhension de la réalité et du temps.

L’identité numérique devient une entité fluide et multiple, façonnée par l’interaction en ligne, mais également vulnérable aux dangers d’un « suicide numérique » résultant d’une gestion défaillante de l’image virtuelle.

Cette exploitation se radicalise avec le capitalisme algorithmique, où les algorithmes deviennent la nouvelle forme de pouvoir, dictant nos interactions sociales et économiques. Cette réalité numérique, fusionnée avec le physique, génère des artefacts imprévisibles, révélant les limites et anomalies du système.

Enfin, l’art explore la perversité du sublime, où l’esthétique dépasse le simple plaisir pour plonger dans des territoires ambigus et troublants. Ce sublime, mêlant émerveillement et terreur, confronte les spectateur·ice·s à leurs propres limites, suscitant fascination et inconfort dans un équilibre précaire entre le beau et l’effrayant.

Ce monde, saturé d’informations et de surveillance, est le théâtre d’une déshumanisation progressive où la frontière entre l’humain et la machine s’efface, laissant place à une société de l’ultra-contrôle, l’humanité est en déclin. L’abondance des données, dans cette dystopie, n’a pas enrichi l’humanité. Elle l’a dépouillée de son humanité, réduite à une ressource exploitable, à un être manipulé, surveillé et contrôlé à chaque instant. Toutes tentatives pour échapper à ce système se heurtent à l’omniscience des algorithmes, qui anticipent, influencent et neutralisent.

Visuels de Dark Patterns 2.0. © Fanny Pimpurniaux

Mon projet évolue avec moi, nous emmenant tous les deux plus loin. La suite prend forme en une nouvelle version qui verra le jour bientôt en tant que The Panoptic Code. Ceci reste à suivre.

© Fanny Pimpurniaux

Image principale : Visuel de Dark Patterns 2.0. © Victor Coulet
Logo : Collectif Torus (Camélia Zahi et Fanny Pimpurniaux)


Après avoir obtenu un baccalauréat en communication visuelle à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, Fanny Pimpurniaux déménage au Québec pour poursuivre ses études en art numérique. Elle est actuellement en deuxième année de maîtrise en création numérique et nouveaux médias à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).

Fanny développe très tôt une sensibilité envers les œuvres engagées, que ce soit en peinture, en théâtre, en cinéma, ou dans des environnements immersifs. Elle développe un travail non seulement esthétique, mais également porteur de puissants messages sur la société au sens large.

Remerciements

Je souhaite remercier mon professeur de l’UQAT qui m’a accompagné́ et soutenu tout le long de ce projet, Jean Ambroise Vesac, ainsi que la directrice du programme de maitrise en création numérique et nouveaux médias de l’UQAT, Aude Weber. Je souhaite également remercier le service de prêt du CNM ainsi que mon technicien lors de la phase de tests, Sébastien Duplessis et tous les étudiant·e·s et cameramans qui ont supporté ce projet, ainsi qu’à Hexagram pour cette DEMO.