DEMO59 faye mullen – à peine, quelques lunes 

Juin 2025

Entre les astres et les rochers, entre les sommets et le sol, il existe des espaces dans lesquels nous pouvons imaginer au-delà des murs de confinement. Nous retraçons nos chemins et nous soignons notre volonté d’exister en s’investissant dans des relations plus profondes. Les soins en temps réel peuvent prendre forme. Réalisé au rythme d’une sensibilité sensorielle, ce projet constitue la part d’une création. Les contributions sont de l’ordre artistique, somatique, simple et théorique. Elles seront le véhicule d’une réflexion sur et autour du soin radical, de l’interdépendance queer, des binarités poreuses et du deuil au gré des marées. Par une réappropriation de l’acte d’écrire, nous souhaitons nous recentrer dans l’espoir de récupérer (un peu) ce qui a toujours été en voie d’être perdu, à jamais. 

À peine quelques lunes est une exposition rassemblant un corpus d’œuvres de faye mullen [membre étudiante, UQAM], parmi lesquelles figurait l’installation sonore …and you take care. Cette itération de l’œuvre, à disposition circulaire, a été présentée à la Chaufferie du Cœur des sciences dans le cadre du Gala Hexagram, en septembre 2024. 


Approche

Sept haut-parleurs sont disposés formant un cercle, les uns face aux autres. Ils imprègnent l’espace de la galerie avec une présence minimaliste mais audacieuse. Debout, les haut-parleurs ont presque l’air d’une personnification grâce à leur posture et aux câbles qui s’enroulent dans l’espace.

Chaque haut-parleur est activé individuellement par la détection censurée d’un visiteur qui s’approche du bord de la circonférence depuis l’intérieur du cercle. La proximité active la reproduction d’un fichier audio mono qui est amplifié à partir de l’un des haut-parleurs, portant la voix acapella de personnes chères, proches et queers. Activée(s) et potentiellement mise(s) en boucle par la suite, la (les) voix chante(nt) une chanson simple, hypnotique et répétitive. Inspirée par une écholalie personnelle et interne de dix ans, ces voix amplifiées remplissent l’espace. 

Installation sonore …and you take care à la Chaufferie du Cœur des Sciences, UQAM

Du mouvement à l’immobilité, la composition est interactive, in situ et en temps réel. Les voix chantent, psalmodient, entourent, appellent et fredonnent la mélodie à leur manière, tout en se concertant les unes avec les autres, mais pas nécessairement toujours en accord ou en rythme. Une voix sonore et cyclique qui nous appelle à des pratiques de reconnaissance, de souvenir, de retour et de prise en compte. 

Cadre de travail

Ces voix s’orchestrent organiquement comme un hymne, créant une nouvelle composition à chaque fois grâce à l’interaction du public et aux mouvements détectés par des capteurs, inspirant un sentiment d’agentivité, d’amplification et de non-interférence. La mélodie cadentielle « and you take care… » couplée à l’instrumentalisation sera mise en boucle et superposée dans l’espace, invitant le spectateur à s’imprégner d’une certaine pratique de soin collectif. 

Invitant à une forme d’autonomie corporelle “avec”, la composition engage le participant d’une manière autodéterminée, augmentant les opportunités d’auto-apaisement, de soins collectifs et d’euphorie sensorielle. L’expérience et la pratique du soin renvoient à une connotation polysémique qui adopte la position de sujet et d’objet dans le contexte de cette pièce. 

Expérience sonore de l’installation, Chaufferie du Cœur des Sciences, UQAM 

Les sentiments qu’y émergent, la rage sacrée, et le travail de deuil – oui – sont exprimés sensoriellement à travers les impressions et les intentions de ce travail, qui mobilise une approche neuroqueer des pratiques de soins, de communion circulaire et de vision du (des) futur(s). Dans l’esprit d’une toile d’araignée – un acte subtil de résistance dans l’espoir d’établir une connexion. 

Processus

Pendant plusieurs décennies, cette écholalie a calibré et recalibré un système nerveux à travers un bourdonnement sonore intérieur. Dans le moment où une violence directionnelle éclate autour des droits humains, de l’autonomie corporelle et de la souveraineté, le volume s’est étendu à travers les relations. Ce n’est que lorsque la mélodie a été confiée à des proches queer, qu’elle a été entendue et s’est rendue audible. Au niveau sonore, la mélodie est née à travers un engagement collaboratif de soin collectif et de réciprocité. 

Détail de l’installation

En rencontrant les proches là où ils se trouvaient, la plupart des enregistrements ont été réalisés sur le terrain et dans le confort des foyers, des studios – autour de repas, sous des tables et sous des couvertures. Chaque enregistrement constitue un monde accordé à la fréquence de l’affirmation de la vie. Ils sont tous empreints de relations, et chaque personne a été sollicitée à travers des liens de familiarité, et la reconnaissance de leur profonde connexion au son et à leur sens auditif.

La collaboration est un espace de création à la fois précieux et précaire. Dans cette perspective, la réceptivité est essentielle au nourrissement collectif. La réciprocité est fondamentale à l’expansion de l’acte de création, qui devient le berceau de ce cercle. 

Détails du processus, de la partition à l’installation

Moyens techniques

Ce système sonore synergique se compose de sept haut-parleurs, chacun associé à un capteur ultrasonique, une carte sonore et un microcontrôleur. Un code personnalisé écrit en MicroPython est utilisé pour contrôler le Raspberry Pi Pico H. Le logiciel lit les données des capteurs ultrasoniques et communique avec la carte sonore pour diffuser un son en fonction de la proximité du participant. Lorsqu’un participant s’approche d’un support de haut-parleur, le capteur ultrasonique MaxBotix qui y est installé est déclenché, et la piste assignée à ce haut-parleur commence à jouer depuis le lecteur du Raspberry Pi Pico. 

Dispositif en construction

Lorsque la personne participante reste dans la zone de détection définie du capteur, la piste se répète en boucle. Une fois que le participant s’éloigne, la piste continue de jouer jusqu’à sa fin, après quoi le haut-parleur cesse de diffuser. Le son ne sera réactivé que lorsqu’une personne entrera à nouveau dans la zone de détection du capteur. Chaque haut-parleur diffuse une piste unique, mais tous fonctionnent de la même manière. La composition sonore de l’installation, elle, est interactive, in situ et en temps réel, puisque les sept pistes distinctes peuvent jouer en solo, en duo, en quatuor, ou en concert, selon le mouvement, le placement et la présence du ou des participants. 

Assemblage manuel du dispositif

Comme les capteurs sont installés en cercle, se faisant face les uns aux autres, la proximité est relative à la circonférence – à mesure que la personne s’éloigne d’un haut-parleur situé dans le cercle, il ou elle peut se rapprocher de la zone de détection d’un haut-parleur adjacent, et ainsi de suite. Le centre précis du cercle est légèrement en dehors de la portée de détection des sept haut-parleurs, offrant ainsi la possibilité du silence et/ou de la résonance. Les possibilités de présence, de puissance et de jeu sont infinies, et l’apaisement sonore oscille vers la surcharge selon l’activation. 

Détails techniques

Poussé·e par la sensibilité, faye mullen s’engage dans une pratique d’observation et d’écoute en tant qu’artiste et dans le travail communautaire.

Ses propositions tendent vers une horizontalité qui façonne des conceptions queer du monde, des formations divergentes et des relations ancrées. Porté·e par une sensibilité sculpturale, son travail se traduit par des installations sonores, des interventions in situ, des incarnations performatives, des œuvres terrestres ou des images fixes et en mouvement.

Habitué·e aux circonstances de notre humanité vécue, faye tend, oui, vers un travail du deuil. Dévoué·e à reconsidérer le silence et dans l’intérêt de découvrir le potentiel de courbure du temps, sa pratique s’efforce de tenir ensemble le pouvoir du démantèlement et l’acte de restauration.

Gratitude

L’artiste souhaite remercier son directeur de recherche, Mario Côté, pour son soutien continu au fil des années. Merci à Monia Abdallah, Louis Jacob, Suzanne Paquet, Viviane Delisle. Merci à la cohorte DEPA de 2016. Merci à Hexagram et à l’équipe, notamment Max Boutin, Fanny Latreille-Beaumont, Paloma Leyton, Jason Pomrenski, pour avoir cru en ce déploiement. Un merci chaleureux et vibrant à Alexandra Gelis et Lorena Salomé pour leurs conseils techniques et leur générosité d’esprit. Rythme du soin. Merci à Jona, qui a accompagné la croissance, depuis la graine de ce travail – même lorsque je débordais ou éclipsais, tu m’as vu·e à travers la création. Une gratitude profonde et enracinée à ma proche parenté queer qui m’a confié leurs voix : Caro, Eli, Grumps, Saria, Steak, Taǫmęˀšreˀ, Nenookaasi, Zanette. Les vôtres, je les tiens avec soin, tandis que pour la mienne, je cherche. Merci à la famille, de sang et choisie. Merci à vous tou·te·s pour vos encouragements et votre lien sincère fondé sur la réciprocité. Merci à ma mère de m’avoir soutenu·e dans ma pratique de la voix depuis, pour toujours. Reconnaissant·e des efforts collectifs qui me traversent depuis ailleurs. En esprit, le travail créatif est, comme toujours, déjà et à jamais collaboratif. 

Cette publication est également disponible en : English (Anglais)