DEMO62 Suzanne Landry – Appareil résiduel

Octobre 2025

Présentée en mai 2025 à la salle d’expérimentation d’Hexagram, Appareil résiduel est une installation de Suzanne Landry [membre étudiante, UQAM], qui mêle dessins et images vidéographiques, incluant une station active. Cette exposition marque l’aboutissement de son projet de recherche-création réalisé dans le cadre de sa maîtrise en arts visuels et médiatiques, sous la direction de Gisèle Trudel [membre cochercheure, UQAM]. 

S’inscrivant dans une réflexion sur le sol, envisagé en tant que paysage spatiotemporel traversé par les dynamiques entre entités humaines et plus-qu’humaines (Haraway, 2020), Appareil résiduel explore le site postindustriel de l’ancienne compagnie Dominion Bridge, à Lachine (Montréal). L’installation s’attarde aux résidus du lieu, perçus comme un terreau fertile pour observer les forces d’enchevêtrement de la « natureculture » (Haraway, 2003). Elle déploie une pratique où la stratification et la contamination deviennent des processus créatifs, invitant à repenser, avec le vivant, les relations entre altération et création. 


Processus et explorations interdisciplinaires 

C’est en tissant des liens entre arts, sciences et philosophie que Suzanne Landry conçoit ce projet. Inspirée par les approches d’Ed Ruscha (Stains, 1969) et de Susan Schuppli (Learning From Ice, 2019–2025), elle amorce une collaboration avec le Département des Sciences de la Terre et de l’Atmosphère de l’UQAM. 

Aux côtés du technicien géologue Diogo Barnetche, elle se forme à l’utilisation du microscope numérique Keyence VHX-7000. Cet instrument lui permet d’observer en détail des échantillons prélevés sur des sites contaminés de Montréal. Grâce à la puissance de sa lentille (250 mm) ainsi qu’à ses nombreuses fonctionnalités, dont la visualisation en animation 3D, l’instrument optique révèle une granulométrie insoupçonnée à l’œil nu. 

Là où le géologue identifie du plastique, du verre ou encore des minéraux tels que le sable, l’artiste perçoit un enchevêtrement de poussières colorées, non sédimentées, aux textures et aux formes évoquant des récits artistiques, à la fois sensibles et spéculatifs. 

Landry, S.(2022). Échantillon #10_DB. Extrait vidéo du logiciel numérique Keyence. 

Les savoirs scientifiques et artistiques se croisent et s’enrichissent mutuellement, nourrissant l’exploration conceptuelle de la stratification, entendue ici dans le sens proposé par Deleuze et Guattari (1980). Les auteurs la décrivent comme une organisation de matérialités qui sert à stabiliser, un instant, le chaos des flux. Ce processus interroge les enchevêtrements et les zones de rencontre : cet « entre » mouvant où les relations se forment, se transforment et se recomposent. 

Dans cette perspective, Suzanne Landry accélère la décomposition de matériaux résiduels recueillis sur le site, à travers divers procédés physiques, artisanaux et chimiques : compression, broyage, teintures, pigments, laques. Elle mobilise également l’eau dans ses différents états (gel, dégel, évaporation) pour accompagner ces transformations. 

Ses explorations prennent forme dans des agencements qui « font avec » les forces du vivant, en s’inscrivant dans une logique de co-pilotage plutôt que de maîtrise. Dans ce contexte, la stratification et la contamination deviennent, pour elle, des vecteurs de contingence et de devenir au sein du sol « natureculture », rejouant (pour le meilleur et pour le pire) les cycles continus de métamorphose. 

Stratification et contamination. Détail de la station active, salle d’expérimentation Hexagram UQAM. Photo : Suzanne Landry.

Mise en espace

La semaine de résidence à la salle d’expérimentation Hexagram, qui précédait l’exposition, a été déterminante pour affiner la mise en scène. Suzanne Landry commence par projeter le cartel au sol, puis teste sa projection sur un rideau. Ce dernier s’impose rapidement. En transformant l’espace, il crée une barrière souple qui dissimule la station active depuis l’entrée et permet une découverte progressive des éléments de l’installation. 

L’œuvre se déploie en trois zones correspondant à trois étapes de création du processus :  l’identification, la transformation, l’évolution. Cette configuration propose une lecture non linéaire, où le regard circule, s’arrête, revient, dans un mouvement semblable à celui de la stratification elle-même. 

Dans le premier espace, un grand cartel présente les « témoins actifs » d’Appareil résiduel. Leurs noms, projetés sur le rideau, ondulent dans un même mouvement, comme portés par l’eau ou par une onde sismique. Ce flux visuel évoque, pour l’artiste, à la fois les cycles du vivant et les failles géologiques annonçant un paysage en devenir : instable, mouvant, potentiellement en transformation. 

Identification

Identification. Détail de l’installation, salle d’expérimentation Hexagram UQAM. Photo : Annie France Leclerc.  
Vue de l’exposition, salle d’expérimentation Hexagram UQAM. Photos : Annie France Leclerc.
Vue de l’exposition, salle d’expérimentation Hexagram UQAM. Photos : Annie France Leclerc.

Transformation

Dans le deuxième espace, l’ondulation se prolonge sous la forme d’un relief suspendu entre le sol et le plafond. Cette structure évoque les correspondances entre la planète bleue et son atmosphère, toutes deux impliquées dans la formation et la transformation du sol et de ses strates.  

Transformation. Vue de l’installation, salle d’expérimentation Hexagram UQAM. Photos : Annie France Leclerc.

L’agencement des papiers, ponctué de larges ouvertures, invite subtilement à pénétrer dans l’installation. Un éclairage programmé à l’aide du logiciel TouchDesigner accompagne ce dispositif : sa modulation lente et continue, presque imperceptible,  éclaire puis estompe doucement les formes, suggérant une temporalité étendue et organique, proche de celle du vivant. 

À l’intérieur, les dessins se révèlent au plus près, façonnés par l’interaction entre teintures et pigments issus de plantes, de métaux et de minéraux, fusionnés au papier calque. 

Détails de l’installation, salle d’expérimentation Hexagram UQAM. Photos : Annie France Leclerc 
Détails de dessins,  salle d’expérimentation Hexagram UQAM. Photos : Suzanne Landry.
Détails de dessins,  salle d’expérimentation Hexagram UQAM. Photos : Suzanne Landry.
Vue de l’installation, salle d’expérimentation Hexagram UQAM. Photos : Annie France Leclerc. 

Évolution

Dans la troisième zone, un dispositif associant un appareil photo en mode time lapse et un projecteur Pico capte et projette les mouvements accélérés d’un processus en cours.  

Évolution. Vue de l’installation, salle d’expérimentation Hexagram UQAM. Photo : Annie France Leclerc.

Sur une surface vitrée posée sur un rouleau de papier calque, l’artiste dépose quotidiennement des blocs de glace saturés de teintures et de pigments.  En fondant, ces blocs libèrent lentement leur charge : le liquide s’échappe, déborde, s’infiltre sous la vitre, traçant des chemins imprévisibles. 

Photo : Kyra Nercessian.
Photo : Annie France Leclerc.
Photo : Suzanne Landry.

Natureculture

Au contact du papier compressé, la propagation du liquide génère des agencements faits d’oscillations, de superpositions et d’imprégnations. Ces formes en devenir rejouent les dynamiques de la stratification et de la contamination (deux forces entremêlées) que l’artiste associe à l’évolution continue du sol « natureculture ». 

Landry, S. Dé-paysage_29052025. Vidéo, 1:22 min.
Landry, S. Dé-paysage_30052025. Vidéo, 1:40 min.
Landry, S. Dé-paysage_02062025. Vidéo, 1:36 min.

Suzanne Landry est une artiste basée à Montréal (Tiohtià:ke/Mooniyang). Candidate à la maîtrise en arts visuels et médiatiques à l’Université du Québec à Montréal, elle est également titulaire d’un baccalauréat en design industriel (Université de Montréal, 1985). Sa pratique en peinture et en dessin élargi explore les notions de paysage et de biorégion en lien avec les changements climatiques, dans une approche façonnée par la recherche-création.

Ses œuvres ont été présentées dans une quinzaine d’expositions au Québec et figurent dans plusieurs collections privées (Europe et Amériques), ainsi que dans une collection publique (Ville de Saint-Lambert). En décembre 2025, son travail de maîtrise sera présenté à la Fondation Grantham pour l’art et l’environnement dans le cadre de l’exposition Horizons nouveaux.

Ses recherches ont bénéficié du soutien de MÉDIANE | Chaire de recherche du Canada en arts, écotechnologies de pratique et changements climatiques (2024), ainsi que du réseau Hexagram.

Remerciements 

Suzanne Landry remercie chaleureusement Gisèle Trudel, sa directrice de recherche, pour son accompagnement et son enthousiasme constant. Elle reconnaît le soutien de MÉDIANE, Chaire de recherche du Canada en arts, écotechnologies de pratique et changements climatiques, ainsi que celui du réseau Hexagram et Hexagram-UQAM, dont les appuis de l’équipe technique ont permis le déploiement optimal de l’exposition. 

Elle exprime sa reconnaissance à Diogo Barnetche pour son ouverture à la rencontre de l’art et de la science. Pour terminer, elle remercie grandement Gaspard Vié, Gisèle Trudel, Kyra Nercessian Revenko, Mélodie-Claire Jetté, Nicolas Vié, Poli Wilhelm, dont le soutien a été inestimable.