Octobre 2025
Le Collectif Intrigo prend sa source au travers du constat de chercheures et chercheurs issus du milieu universitaire : les technologies basées sur la mécanique quantique s’intègrent de plus en plus de manière concrète dans nos vies, et ce, grâce à des phénomènes physiques hors du commun. La création d’objets intelligents et d’interfaces dématérialisées accélèrent la relation numérique qui relie l’homme à la machine. Ainsi, la plupart d’entre nous côtoient ces technologies, aux concepts abstraits et parfois méconnus.
Un manque d’analogie concrète avec ces phénomènes quantiques microscopiques pousse le Collectif à ancrer la vulgarisation de ces concepts à l’aide de matériaux et médiums tangibles à l’échelle humaine, tel que le béton. Ainsi, supporté par des technologies immersives, interactives et participatives, l’art numérique offre la médiation nécessaire à ce projet. Il permet à chacun d’entre nous, petits et grands, de comprendre le monde quantique qui nous entoure. Pour ce faire, le Collectif Intrigo présente en juin 2025 l’exposition « De la science quantique à l’expérience artistique », au centre d’exposition d’Amos.
L’exposition
L’exposition se présente sous la forme d’un parcours semi-dirigé, comprenant deux salles : la première est une présentation de l’équipe, de l’avancement du projet, des étapes de création et des outils de vulgarisation des concepts clés du projet ; la seconde est un regroupement des itérations artistiques du Collectif Intrigo inspirées de la science quantique.

La salle A est un espace conceptualisé en fonction des six étapes de co-création que l’on retrouve dans les méthodes de Design Thinking (Svalina et al., 2022, p. 449) à savoir : l’immersion ; le positionnement – cadre de création ; l’idéation ; la conception ; le prototypage et les tests – l’exposition. La salle A regroupe les éléments, archives et concepts inachevés qui ont permis au Collectif de traverser les étapes de co-création pour réaliser l’exposition.
On y retrouve également des dispositifs vidéographiques vulgarisant trois principes majeurs de la mécanique quantique abordés dans l’exposition : la superposition, l’interférence et l’intrication. Ces dispositifs sont conjointement créés par le professeur Olivier Landon-Cardinal et l’artiste Marianne Prud’homme. La salle A contient par ailleurs une installation ludique développée par le professeur Bora Ung et Thierry Goyer. Elle permet de comprendre l’effet Hong-Ou-Mandel – HOM, démonstration du comportement étrange de particules quantiques par le phénomène d’interférence (Hong, Ou, Mandel, 1987, p. 2044).
C’est après avoir défini le projet, les objectifs et la présentation des prototypes de la salle A que la salle B répond à la manière de chaque artiste et chercheur.e à la question : comment rendre plus concret à nos sens l’imperceptible mécanique quantique?
Comment percevoir la mécanique quantique
Si la Salle A présente le projet et ses étapes, la salle B quant à elle, est pensée comme un « hub », ou chaque œuvre et processus scientifique fonctionnent de manière concomitante. Grâce à la capture de bruit quantique à partir d’un dispositif de génération de chiffres aléatoires par le quantique – QRNG, un bruit binaire extrait est exploité et converti en flux de données. Le bruit est simplifié (ou déplié) en six points. Ces points sont alors utilisés par notre dispositif en fonction de plusieurs attributs, six couleurs (RVB) et six positions dans l’espace et le temps (x, y, z, t).


Métaphore artistique
Le cadre de création guidant le Collectif réunit les concepts clés constituant l’ontologie du projet, c’est-à-dire les notions fondamentales ayant inspiré et guidé les choix artistiques tout au long du processus. Le bruit quantique y joue le rôle de métaphore centrale de l’indéterminé et de l’infinité des possibles.
L’ensemble de ces informations se matérialisent alors sous différentes formes au sein du hub. L’œuvre de l’artiste et professeur Jean-Ambroise Vesac « Déplier le bruit quantique » comprend deux écrans de projection et un dispositif interactif à la disposition du public. Il se compose de six triangles intégrés de fibre optique développés par la professeure Claudiane Ouellet-Plamondon et Karina Arcolezi, chaque triangle représente un qubit, l’unité fondamentale de la mécanique quantique dont l’ensemble se trouve dans un état de superposition. Sous chacun de ces triangles se trouve une lumière LED, dont la couleur représente un état différent. L’interaction du public permet alors l’observation d’états transitoires alors observables dans le monde quantique, mais non observables dans le monde réel.
La notion de superposition a nourri la dualité lumière/matière, incarnée dans l’exposition par la fibre optique traversant le béton. La notion d’observation prend corps dans le geste d’interaction proposé aux visiteurs : par le mouvement de leurs mains, ils manipulent, observent et expérimentent le dispositif visuel et musical. Cette approche mêle deux entités opposées ; un matériau de construction ancien et des technologies contemporaines issues de la photonique.

Selon certaines configurations de données et d’interactions, cette action « fixe » l’installation, à l’image d’un système quantique perdant son indétermination sous l’effet de l’observation, l’action détermine alors ce que nous appelons « un modèle ». L’interaction du visiteur vient alors influer sur les deux écrans de projections. L’un indiquant la position dans le temps et dans l’espace des points. L’autre offrant une prévisualisation du modèle de points et de couleurs.
Modèles d’immuabilité
Quand l’action du visiteur sur le dispositif est jugée intéressante, la combinaison de couleurs et de points que détermine le visiteur s’enregistre. Le visiteur expérimente l’impact de l’observation sur un système quantique : la fixation.

Le modèle est enregistré sous la forme de Non-Fongible Token – NFT, protégé sur un registre numérique alimenté par la technologie des chaînes de blocs. Le professeur Kaiwan Zhang, son créateur, dira de ce dispositif qu’il est principalement symbolique : « nous immortalisons un phénomène physique et tangible à travers une technologie numérique imperceptible ».
Les NFTs symbolisent l’immuabilité qui survient de la création d’un modèle unique. Les modèles présents dans l’exposition sont le rappel de cette immuabilité, les modèles une fois créés, ne le seront pas de nouveaux, ainsi, à travers l’œuvre Impression CODE, ils nous entourent. De plus, chaque NFT créé complète la collection, présentée sur l’écran vidéo au centre de la salle B. Ainsi, l’exposition s’enrichit de l’accumulation des expériences des visiteurs : par leur interaction, ils participent pleinement à l’œuvre.
Données perceptibles
Autour du visiteur est placé une frise de modèles générés au cours des expérimentations du Collectif. L’art et le code forment un langage sensible et logique qui permet de filtrer le bruit pour en extraire des couleurs, des formes et des lignes. L’art permet de rendre perceptible ces données. De plus, les images imprimées conservent l’information et complètent bien ainsi les NFTs. La séquence des couleurs rend plus perceptible le processus numérique.

Impressions en béton
L’exposition brouille les frontières entre le réel et le virtuel, elle explore les représentations possibles de concepts complexes et impalpables. Dans cette démarche, la professeure Claudiane Ouellet-Plamondon et Malo Charrier de la Chaire de recherche du Canada sur les matériaux de construction multifonctionnels durables ont choisi de rendre immuable leur modèle par la programmation d’un robot 6 axes « imprimant » en béton composé de fumée de silice.
L’opposition entre matière et numérique s’efface. L’impression en béton d’un jeu de données en matérialise la représentation numérique : les données prennent corps à la croisée de la matière et du numérique.

Structures moléculaires
Afin de permettre une représentation artistique de ces concepts par l’immersion, l’artiste Étienne Baillargeon lui, s’est inspiré de la structure moléculaire hexagonale de la Portlandite, l’un des principaux cristaux formés lors de l’hydratation du ciment Portland, élément essentiel pour le maintien de la résistance du béton présenté au cours du projet par la professeure Claudiane Ouellet-Plamondon.
La sculpture matérialise la continuité entre la science des matériaux et la création artistique, tout en traduisant visuellement la précision et l’ordre géométrique présents dans la matière même du béton. Elle matérialise alors le lien entre l’art et la science.

Des souvenirs numériques tangibles
L’action du visiteur, au-delà de la création d’un modèle unique et de son enregistrement, permet l’illumination de l’ensemble de la pièce aux couleurs générées par le modèle, mais également et pour finir, sa récupération numérique.
Définit par des critères de rareté, les modèles sont disponibles pour les visiteurs grâce à la création d’un portefeuille numérique. Chaque modèle est unique, et les membres du Collectif s’appuient sur leurs traductions, leurs générations et leurs résultats dans le but de transmettre plus de connaissances et d’informations sur la mécanique quantique et les enjeux qui l’entoure.
C’est pourquoi l’ensemble des modèles générés par les visiteurs sont disponibles pour la récupération, gratuitement et avec l’aide d’un personnel de la galerie. Ils sont pour le Collectif l’occasion d’offrir un souvenir numérique tangible d’un concept impalpable et pourtant bien présent.

Le Collectif Intrigo s’est formé en 2021, composé de de professeur.e.s, de chercheur.e.s et d’artistes issu.e.s de diverses disciplines, qui se réunissent autour de l’objectif de partager leurs expertises respectives au sein d’un projet de co-création art/science.
Bénéficiant du soutien de la bourse PRISME des Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies, le Collectif Intrigo s’est donné pour mission « d’explorer de nouvelles expressions transdisciplinaires d’innovation scientifique et artistique, au-delà des frontières traditionnelles ». Le Collectif réunit les quatre champs disciplinaires fondateurs du projet : le génie de la construction, représenté par Claudiane Ouellet-Plamondon; le génie électrique, représenté par Bora Ung et Olivier Landon-Cardinal; le génie logiciel, représenté par Kaiwen Zhang ; ainsi que l’art numérique, représenté par Jean-Ambroise Vesac et Étienne Baillargeon.
Depuis sa création, de nombreuses personnes ont contribué à l’évolution et au succès du projet, notamment l’artiste numérique Marianne Prud’homme, la chargée d’exposition Léa-Françoise Terrier, ainsi que des étudiant·e·s stagiaires tel·le·s que Naomie Allard, Aimene Akkouche, Laurine CapdeVille, Simon Colombel, Théo Des Lions, Mathilde Delacambre et Helwan Mande, témoignant d’un fort engagement interdisciplinaire. Le projet a également bénéficié de l’apport de jeunes chercheur·e·s, dont Malo Charrier, Thierry Goyer, Karina Huang-Arcolezi et Eliot Terrier.
À propos de l’auteure
Dans le cadre de son baccalauréat en création numérique, Léa-Françoise Terrier intègre le Collectif en 2022. Elle débute en tant qu’assistante de recherche pour le professeur Jean-Ambroise Vesac, PhD. À la suite de son baccalauréat, elle intègre une maîtrise en muséologie à l’UQAM et poursuit son travail avec le Collectif jusqu’à la mener au poste de chargée d’exposition. Elle conçoit alors, accompagnée du Collectif Intrigo, l’exposition De la science quantique à l’expérience artistique.
Remerciements
Le Collectif Intrigo tient à remercier Benjamin Bouillon, Pablo Bianucci, Charles Brecard, Marie-Ève Brisson, Jeffrey Dungen, Patrick Harrop et Elody Sanchis pour leurs contributions au cours du projet.
Le Collectif tient à adresser un remerciement particulier à Elena Beaulieu, du groupe de valorisation culturelle Axelys, pour son aide et son support dans le développement du projet.
Références
Svalina, A., Tomiša, M., Čačić, M., & Hajdek, K. (2022). Synthesis of current knowledge and research on the Design Thinking methodology. Tehnički glasnik, 16(4), 445-453.
Hong, C. K., Ou, Z. Y., & Mandel, L. (1987). Measurement of subpicosecond time intervals between two photons by interference. Physical review letters, 59(18), 2044.
Partenaires

Image bannière : Collectif Intrigo, De la science quantique à l’expérience artistique. Photo : Léa-Françoise Terrier.
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