DEMO64 Nancy Tobin – Superheart l’Opéra

Novembre 2025

Ce projet-création vise à comprendre comment ma pratique assidue de la méditation a animé et guidé la création de la performance d’art sonore scénique: Superheart L’Opéra, présentée à La Chapelle Scènes Contemporaines de Montréal, les 9, 10, 11 et 12 octobre 2024, et soutenue par Hexagram. 


La méditation

À force de méditer avec une attention qui se peaufine toujours de plus en plus, je découvre une multitude de phénomènes dont la subtilité ne cesse de m’étonner.  De plus en plus délicats, de plus en plus ténus, dans un état tranquille et attentionné, je peux les rencontrer. Dans cet intérieur que j’explore, je comprends au-delà de la pensée discursive et rationnelle avec clarté. L’expérience concrète des phénomènes me révèle à n’en pas douter que rien ne dure, n’est fixé, circonscrit pour toujours. Que je suis mal lorsque ce que je vis ne satisfait pas mes désirs et mes attentes.  En fait, je comprends de plus en plus ma propre nature véritable et que l’idée que je me fais de moi-même n’existe pas. Je suis comme les phénomènes, sans substantialité ni stabilité.  

La recherche-création

Je suis actuellement en cours de rédaction de thèse. Je tente de comprendre dans l’écriture le processus de création au-delà et en deçà du soi. Au cœur du processus de création vécu, j’identifie des dispositions (comme des attitudes ou des postures), inspirées de ma recherche méditative. En voici quelques-unes, elles sont parfois mises en corrélation avec certains aspects concrets du processus de création de Superheart L’Opéra

Dispositions de recherche-création qui se posent sur ma pratique de la méditation

Trouver sans chercher 

La pratique assidue de la méditation me permet de découvrir de nouvelles consciences (l’esprit neuf de Shunryu Suzuki) de manière incorporée et expérientielle, sans chercher, mais plutôt en exerçant le lâcher-prise, l’accueil, la présence attentive et attentionnée. L’effort à exercer n’est pas celui d’essayer de trouver (recherche dirigée vers une finalité), mais plutôt de maintenir un état de disponibilité et d’ouverture à ce qui se présente dans le vif de l’instant.  

Dans un processus de création, cette posture de recherche se manifeste par l’évitement intentionnel du désir de contrôler son dénouement. Se libérer de son habituelle tendance à se projeter dans une situation souhaitée est l’effort à exercer. Curiosité et confiance prédominent. Trouver s’opère en maintenant un état de disponibilité au lieu de chercher en fonction de nos attentes et de nos idées préconçues. 

Savoir non compris et tâtonnement 

Ce terrain, je ne le connais pas encore avec précision. Ce qui m’habite actuellement est un amas d’intuitions, des certitudes incorporées et irrationnelles. Des prémices m’interpellent. Je me sens comme sommée de les essayer, de les explorer, mais je ne sais pas encore exactement pourquoi. C’est ce que je nomme « savoir non compris ». Je fais confiance à ces sensations. Je ne cherche pas à les comprendre, à les cerner, ni à les maîtriser. Si imprécises soient-elles, je respecte leur état. Je ne tente pas de les clarifier de manière abstraite (dans la pensée) avant d’en faire l’expérience. Je cherche à tâtons, en tâtant. Je touche, j’essaye, je marche dans le noir. Mon approche est expérientielle, concrète et incorporée. C’est celle du « tâtonnement ».  

Cohérence à postériori 

Possiblement une illumination surviendra. La compréhension du pourquoi de la prégnance des prémices sera éventuellement plus claire. C’est ce que je nomme la « cohérence à postériori ». Dans cette recherche-création, le « savoir non compris » est la manifestation de l’avenir dans le présent et la « cohérence à postériori » est celle du passé dans le présent. Tous les temps sont là simultanément dans le présent. 

Le libretto atmosphérique

Ce recueil de prémices (idées initiales de tableaux, points de départ), de citations, de pensées et de dessins a été remis à toutes les personnes collaboratrices le 17 novembre 2023, lors de notre première rencontre toustes ensemble, juste avant de commencer les répétitions. Il s’agit d’un procédé de mise au diapason. Il ne contient aucun texte précis à répéter (dialogues), aucune partition musicale à interpréter non plus. Ce libretto, je le voulais atmosphérique, simplement pour donner un esprit commun à notre quête. Sa conception s’est déroulée à l’été 2023 pendant un atelier consacré à cet effet. Sur une durée d’environ un mois, j’ai relu tous mes cahiers de notes manuscrites rédigés depuis le début de mes études doctorales en 2018. Je grappillais les passages et les citations qui m’interpellaient sans les questionner, sans trop y penser. Durant le processus de réalisation du livret, j’appliquais l’approche inspirée de la méditation que j’envisageais de mettre en œuvre pour la création de Superheart L’Opéra. Ancrée dans le vif de l’instant, je retranscrivais les mots grappillés sur des feuilles séparées, parfois des idées de dessins surgissaient.  Impliquée dans l’action, rien d’autre n’existait. Ni moi, ni mes attentes, ni mes désirs. Je dessinais et retranscrivais, rien de spécial. Le plaisir dans l’écoute de mes traits de crayon qui frôlent et égratignent le papier, le plaisir d’un dessin qui me vient sans l’avoir cherché. Tout ceci aura bien un sens. N’aie pas peur. Confiance. Un tel bonheur ne peut être si inutile. 

On ne se dirige pas vers la découverte, on y est déjà. Tout à savoir est ici et maintenant pour qui est là. 

La présence ancrée au cœur de l’ici maintenant s’est avérée une disposition génératrice de plusieurs recherches lors du processus de création de Superheart L’Opéra. Nous avons notamment investi le lieu tout entier des présentations, le théâtre de La Chapelle Scène Contemporaines, comme s’il s’agissait d’un instrument à interpréter et à découvrir à chaque performance. Pour ce faire, lors de laboratoires de recherche dans le cadre de la résidence Hexagram UQAM, nous explorions les qualités acoustiques du théâtre ainsi que le potentiel musical de toutes ses structures. Le son du système d’éclairage inhérent à son fonctionnement (une empreinte sonore du théâtre) est devenu pour nous la tonalité pour tous les moments d’interprétation musicale. L’utilisation de microphones à condensateur et autre équipement spécialisé, disponibles dans le contexte Hexagram, nous a permis d’amplifier et d’étudier le potentiel résonant de La Chapelle à un niveau de précision autrement inaccessible. 

Recherches sonores dans le théâtre.

Superheart L’Opéra 

Superheart L’Opéra est une invitation à honorer les transformations lentes et profondes qui s’opèrent en soi lorsque s’apaisent nos désirs de contrôle. Entre douceur et effervescence pop, La Chapelle sonne pour célébrer le tâtonnement, l’inattendu, l’ouverture à tout ce qui vient, dans un geste lumineux de gratitude pour le présent. Pour l’occasion, le théâtre se transformera en véritable instrument de musique. De menus détails sonores et visuels, dépliés avec patience, se substituent au grand déploiement évoqué par la forme opératique. Les attentes s’évaporent, le temps se dilate, les perceptions s’amplifient. Le théâtre vibre des présences rassemblées et redimensionne le spectaculaire en le révélant dans l’infime. L’invitation autant pour les personnes sur la scène que pour celles dans la salle est de s’ancrer au creux de l’instant présent. La création Superheart L’Opéra se déploie dans l’ici et maintenant, in situ et in nunc

En voici quelques extraits choisis surtout en fonction de leur visibilité devant la caméra fixe au centre de l’assistance. La performance loin d’être uniquement frontale se déroulait dans le théâtre entier, et ce parfois dans un éclairage de très basse intensité.  

Extraits de la pièce.

Les artistes collaborateurices 

21 personnes sont impliquées dans la création pour éviter que quelqu’un quelqu’une cumule trop de tâches. Dans Superheart L’Opéra, la préoccupation avant tout était celle de préserver une qualité paisible, tranquille dans le travail. Tordre le possible raisonnable pour satisfaire le désir de mettre parfaitement en œuvre une idée préconçue et abstraite a toujours été inacceptable. Notre attitude a été plutôt celle d’exercer sa capacité à être en présence avec ce qui est, puis de ne pas s’inquiéter d’un dénouement non favorable.  

Lucie Bazzo, conception lumière et régie 

Catherine Cédilot, performance 

Nathalie Claude, performance-présence dans l’espace public  

Anaëlle Dreyer, observation et écoute 

Théo Durieux, performance  

Roxanne Gallant, direction de production  

Simon Gauthier, conception sonore, matière enregistrée 

lamathilde, conception vidéo 

Cai Glover, poésie gestuelle 

Stuart Jackson, performance et instrumentation 

Nicolas Jalbert, direction technique, collaboration à la conception sonore et vidéo, régie 

Frédéric Le Bel, conception sonore, captation 

Lyne Nault, collaboration à la mise en jeu 

Émilie Martz-Kuhn, dramaturgie 

Virginie Mongeau, performance vocale 

Katya Montaignac, accompagnement et écoute 

Manon Péguillou, régie de plateau 

Martin Tétreault, disques préparés, glanage de cœurs 

Nancy Tobin, idéation et mise en scène 

Julie Vallée-Léger, scénographie, costumes et accessoires 

Émilie Versailles, performance vocale et interprétation  

Sarah Williams, collaboration à la mise en scène 


Nacy Tobin est méditante, artiste sonore et conceptrice pour les arts de la scène.

Depuis 2000, sa recherche en art sonore se concentre sur des procédés non traditionnels de création musicale. Ses performances ont été présentées dans plusieurs festivals et galeries, notamment MUTEK, AKOUSMA, OBORO, Fonderie Darling, Musée d’art contemporain de Montréal, MOIS MULTI, AVATAR (Québec), NAISA (Toronto), TONE DEAF (Kingston). À maintes reprises elle a été boursière du Conseil des arts du Canada (CAC) et du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) pour le développement de projets de recherche et de création.

Remerciements

Merci infiniment pour votre aide et soutien: 

Société et culture – Fonds de recherche du Québec 

Prix Jovette-Marchessault, 2021 (ESPACE GO et Conseil des arts de Montréal) 

École supérieure de théâtre, UQAM 

Francine Bernier et Agora de la danse pour l’accueil en résidence de création 

Hexagram-UQAM 

Doctorat en études et pratiques des arts, UQAM 

Nini Bélanger et Projet MÛ, Jean-Nicolas Bertouille-Blais, Benjamin Bertouille-Blais, Sylvianne Binette, Joanne Blais, Claude Boissonneault, Christine Boudreau, Catherine Bourgeois et la compagnie Joe Jack et John, Sarah Dell’Ava, Catherine Desjardins-Jolin, Hélène Deslières, Fabien Durieux, Azraëlle Fiset, Jen Fisher, Nik Forrest, Lise Gagnon, Mario Gauthier, Philippe-Aubert Gauthier, Myôshin Di Giacomantonio, Winnie Ho, AnneF Jacques, Maria Kefirova, Claude Lalonde, Kimura Byol Lemoine, Alex Larrègle, Marie-Christine Lesage, André Éric Létourneau, Paloma Leyton, Luc Maltais, François Morel, François Kathrin-Lagacé, Sylvain Therrien et Audio-Visuel UQAM, Anaïs Mauriet, Isabelle Miron, Anne-Marie Ninacs, Lara Oundjian, Jason Pomrenski, Marie-Claude Roy, Alexandre St-Onge, Alanna Thain, Théâtre de la Pire Espèce, Patrice Tremblay.

Références (sélection)

Anālayo, Cittaguno, B. (2020). Satipaṭṭhāna : le chemin direct pour la réalisation. Almora. 

Baas, J., & Jacob, M. J. (2004). Buddha Mind in Contemporary Art. Berkeley: University of California Press. 

Boutet, D. (2018). La création de soi par soi dans la recherche-création : comment la réflexivité augmente la conscience et l’expérience de soi. Approches inductives, 5(1), 289–310. https://doi.org/10.7202/1045161ar 

Larson, K., Cage, J. (2012). Where the heart beats: John Cage, Zen Buddhism, and the Inner Life of Artists. New-York: Penguin Books. 

Nhá̂t Hạnh, Laity, A. (2017). The Other Shore: A New Translation of the Heart Sutra with Commentaries. Palm Leaves Press. 

Suzuki, S. (1977). Esprit Zen Esprit neuf. Paris: Seuil.