Décembre 2025
Dans cette DEMO, nous présentons le travail innovant de l’ingénieure mécanique Afsaneh Kheirani [membre étudiante, ÉTS], chercheuse diplômée à l’École de technologie supérieure (ÉTS) au sein du laboratoire INIT Robots, sous la supervision des professeurs David St-Onge [membre cochercheur, ÉTS] et Ilyass Tabiai. L’innovation au cœur de ses travaux — la conception et la fabrication d’une membrane à la fois robuste et ultra-légère — n’est pas née de besoins industriels, mais de l’impulsion créative et des contraintes matérielles du projet Cavernaute, une initiative de recherche-création imaginée par deux membres cochercheurs d’Hexagram : Nicolas Reeves et David St-Onge.
Dans ce contexte, des questions artistiques liées à l’expérience sensorielle, à la délicatesse et à l’adaptabilité ont orienté l’investigation scientifique, puisque le projet exigeait une membrane flexible, translucide et suffisamment réactive pour évoluer dans des espaces souterrains confinés et dynamiques. Grâce à ce dialogue actif entre art et ingénierie, les recherches d’Afsaneh ont permis de faire progresser de nouvelles approches en conception de polymères, explorant comment des films délicats peuvent rester flexibles, réparables et expressifs sous contrainte mécanique.
En résulte une membrane ultra-légère, maintenant brevetée, qui a été intégrée aux cavernautes, des aérostabiles souterrains conçus grâce à la convergence des visions technologiques et artistiques.
En tant qu’ingénieure mécanique, Afsaneh Kheirani a consacré sa carrière à la conception et à la réalisation de systèmes plus légers que l’air (LTA), des véhicules qui s’élèvent non seulement grâce à la poussée ou à la portance aérodynamique, mais par un équilibre de flottabilité avec l’atmosphère. Pendant plus de sept ans, elle a travaillé dans l’industrie à la conception et à la fabrication de dirigeables aérostatiques de tailles et de profils de mission variés, allant de grandes plateformes de télécommunications, à de plus petits ballons publicitaires et de surveillance opérant près du sol. Son rôle couvrait la conception mécanique et aérotactique, l’analyse des charges et la fabrication, traduisant des esquisses conceptuelles en systèmes aériens fonctionnels capables de vols autonomes prolongés.
L’attrait des systèmes LTA a toujours été, pour elle, un équilibre entre la précision ingénierique et l’élégance environnementale, un vol soutenu par la flottabilité de l’hélium plutôt que par la consommation d’énergie. Ces systèmes offrent une alternative plus silencieuse et économe en énergie aux appareils plus lourds que l’air (HTA), alliant endurance, stabilité et empreinte écologique minimale. Cette fascination l’a finalement orientée vers la recherche académique, où elle pouvait investiguer et redéfinir les limites matérielles et structurelles des véhicules LTA dans des conditions nouvelles et très contraignantes.
Ses travaux révèlent comment la discipline de la conception mécanique peut s’ouvrir à une forme d’exploration sensorielle, où la précision technique et l’expérience spatiale évoluent ensemble dans un même processus créatif.
Développement de la membrane ultra-légère
Comment créer une enveloppe de dirigeable qui soit à la fois ultra-légère, étanche et suffisamment résistante pour permettre un vol délicat et en autonomie dans des environnements souterrains ou industriels ? Les matériaux existants sur le marché, tels que le polyuréthane (PU) et le Mylar, se sont révélés trop rigides, trop lourds ou trop perméables aux gaz pour répondre à ces conditions. Ce défi a nécessité une véritable innovation matérielle. Cette recherche a conduit à la création d’une nouvelle membrane ultra-légère à base d’un film de polymère, développée sous le nom de projet VELUM (Vehicle Envelope with Lightweight Ultrafilm for Minimal Leakage) et désormais protégée par une demande de brevet déposée par l’ÉTS. L’objectif était de conserver la flexibilité et la pliabilité du film polymère, tout en améliorant significativement la rétention de l’hélium et la durabilité de la surface.
Pour comprendre son comportement, le matériau a été soumis à une série complète d’expériences en laboratoire. Chaque test répondait à une question spécifique sur la faisabilité du vol et révélait en quoi ses propriétés différaient de celles des matériaux conventionnels :
Quelle est sa résistance ?
Des tests de traction, de perforation et de déchirure ont étiré différents films jusqu’à rupture, montrant que la nouvelle membrane polymère se déforme progressivement et de manière prévisible avant de céder, tandis que les films plus conventionnels ont tendance à se rompre brusquement.
Comment réagit-elle à la pression interne ?
Des essais d’éclatement ont gonflé de petits prototypes jusqu’à explosion, simulant les contraintes subies par un dirigeable en vol et confirmant que le nouveau film peut tolérer une forte tension de surface tout en restant flexible.
Peut-elle retenir son gaz ?
Des tests de fuite à long terme ont comparé la perte d’hélium à travers différents films et ont montré que la nouvelle membrane conserve son volume beaucoup plus longtemps, indiquant que le traitement de surface limite efficacement l’échappement du gaz.
Résiste-t-elle à la manipulation et au pliage ?
Des tests de durabilité ont reproduit des cycles répétés d’emballage, de transport et de regonflage. Alors que les films standards se plissent ou collent sous l’effet de l’humidité, la nouvelle membrane retrouve sa forme après plusieurs cycles.
Comment sa surface interagit-elle avec l’eau ?
En observant la manière dont les gouttelettes se déposent sur la surface, il est apparu que le traitement favorise la formation de perles plutôt que la dispersion, ce qui suggère que la membrane résiste mieux à l’humidité et à la condensation dans des environnements humides comme les grottes.
Ces observations ont révélé à la fois la résistance mécanique et la « personnalité » de la nouvelle membrane : doux, mais robuste, transparent et protecteur. Il combine la légèreté nécessaire pour un vol contrôlé en intérieur avec la résilience indispensable à une utilisation répétée.
Contrairement aux matériaux conventionnels employés pour les revêtements extérieurs, généralement épais, raides et surdimensionnés pour des espaces intérieurs, ce nouveau matériau présente un équilibre parfait. Il est facile à manier, facile à réparer et esthétiquement agréable une fois gonflé.



Test matériel et structurel à l’ÉTS.
Le projet Cavernaute
Cherchant à révéler aux Montréalais le trésor caché sous leur ville depuis des millénaires, les deux initiateurs — Nicolas Reeves, professeur à l’École de design de l’UQAM, et David St-Onge, professeur à l’ÉTS et roboticien — ont imaginé une rencontre immersive unique. Ce projet de recherche-création invite l’art et la recherche scientifique à entrer dans une danse symbiotique.



Explorations de la caverne de Saint-Léonard.
Cavernautes est à la fois une exploration artistique et technologique de la caverne de Saint-Léonard, guidée par un automate volant de la famille des aérostables — des êtres hybrides, à mi-chemin entre drones et dirigeables — conçu pour s’aventurer dans des espaces où la présence humaine est presque impossible. L’expérience entrelace la capture des sons ambiants et sous-marins à l’aide de microphones et d’hydrophones avec la diffusion de séquences sonores par des haut-parleurs semi-immergés. Les sons émis se propagent à la surface de l’eau, leurs ondes sculptant la lumière projetée sur les parois de la caverne en motifs changeants — une résonance visuelle née du son.
Lors de l’exposition temporaire, une station d’écoute immersive composée de trois grands écrans invitait les visiteurs à plonger dans cet univers souterrain. Les données audio et vidéo recueillies sous terre ont été diffusées en direct lors des moments d’exploration, alternant avec des séquences préenregistrées — permettant au public de découvrir, en temps réel ou en réflexion, le cœur battant de la caverne elle-même. Pendant que l’équipe technique menait les opérations de vol sous terre, l’équipe du laboratoire NXI GESTATIO de Nicolas Reeves présentait simultanément une installation immersive qui transmettait en direct la vidéo et l’audio ambiant depuis l’intérieur de la caverne vers un espace dédié au public. Ce lien entre l’exploration en temps réel et l’expérience médiatisée illustrait la nature collaborative de la recherche-création : données d’ingénierie et perception artistique émergent en parallèle.


À la suite d’une validation approfondie en laboratoire, la membrane nouvellement développée a été intégrée dans un prototype de dirigeable fonctionnel pour Cavernaute. Elle a été déployée dans la caverne de Saint-Léonard à Montréal le vendredi 16 août 2024, où son enveloppe douce et translucide a réagi aux courants d’air, à l’humidité et à la pression par de subtiles pulsations. Dans cet environnement, la fonction ingénierique et la perception esthétique se fondent : la résilience structurelle devient un rythme visible, et la physique de la flottabilité adopte la cadence silencieuse d’un souffle.



La mission a illustré non seulement le succès technique du matériau, mais aussi ses dimensions esthétiques et expérientielles. Sous les faisceaux des lampes frontales et les faibles reflets de la caverne, le film semi-transparent révélait des couches de plis et de pulsations, au rythme des fluctuations de pression interne liées à la température et au mouvement. Ces motifs vivants et respirants faisaient écho visuellement aux processus physiques de la caverne elle-même — l’air, l’humidité et le temps — transformant l’expérience d’ingénierie en une rencontre sensorielle.

Signification
Ce travail démontre que les frontières entre validation technique et exploration artistique sont poreuses. Les tests itératifs qui quantifient la contrainte, la pression et les fuites révèlent également des phénomènes visuels et tactiles — fragilité, transparence, résilience — qui peuvent être vécus comme faisant partie d’un vocabulaire créatif plus large. Au laboratoire, la rupture d’un film devient un événement visible ; sur le terrain, cette même surface mince devient une interface entre l’air, la lumière et l’environnement souterrain.
La membrane VELUM remplit ainsi un double rôle : elle répond à l’exigence ingénierique d’une enveloppe légère et à faible perméabilité, tout en matérialisant une relation poétique entre structure et souffle. Sa conception et ses tests contribuent à la recherche en ingénierie des polymères, tandis que son déploiement dans Cavernautes l’inscrit dans la lignée des pratiques de recherche-création qui unissent science, art et technologie à travers une enquête matérielle partagée.
Au-delà de l’exploration des cavernes, cette technologie de membrane ouvre la voie à de nouveaux systèmes aériens en intérieur pour l’inspection, la documentation et l’interaction homme-robot, où la faible consommation d’énergie, le faible bruit et le contact doux sont essentiels. Elle représente une avancée concrète vers un vol durable et sensible au contexte, une innovation enracinée dans la mécanique empirique, mais ouvert à l’interprétation artistique.
Pour Afsaneh Keirani, l’attrait des systèmes LTA a toujours été un équilibre entre la précision de l’ingénierie et l’élégance environnementale, un vol soutenu par la flottabilité de l’hélium plutôt que par la consommation d’énergie. De tels systèmes offrent une alternative plus silencieuse et économe en énergie aux appareils plus lourds que l’air (HTA), alliant endurance, stabilité et empreinte écologique minimale. Cette fascination l’a finalement orientée vers la recherche académique, où elle pouvait interroger et repenser les limites matérielles et structurelles des véhicules LTA dans des conditions nouvelles et fortement contraintes.
Ses travaux révèlent comment la discipline de la conception mécanique peut s’ouvrir à une forme d’exploration sensorielle, où la précision technique et l’expérience spatiale évoluent ensemble dans le cadre d’un même processus créatif.
Remerciements
Ce projet a été réalisé au sein du laboratoire INIT Robots de l’École de Technologie supérieure (ÉTS), sous la supervision des professeurs David St-Onge et Ilyass Tabiai (Laboratoire LIPEC). Il a été soutenu par le Fonds de recherche du Québec — Nature et technologies (FRQNT, subvention d’équipe #283381) et développé en collaboration avec NXI GESTATIO (Prof. Nicolas Reeves) de l’UQAM, dans le cadre d’une initiative de recherche-création en arts. L’auteure tient également à remercier le groupe de recherche Cavernautes.

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