DEMO37 Marine Theunissen – Generative Chorus

Septembre 2023

Cette DEMO présente la recherche-création de Marine Theunissen [membre étudiante, UQAM], GENERATIVE CHORUS, qui s’articule comme un laboratoire-œuvre mené entre 2018 et 2023 avec une quarantaine d’intervenant·e·s et qui se situe au croisement des arts vivants (mouvements) et de technologies d’intelligence artificielle (design de dispositif et entrainements de divers algorithmes) autour de la sensation de « connexion » entre humains et autres qu’humains. La diffusion de sa recherche-création s’est tenue à l’Agora Hydro Québec du cœur des sciences de l’UQAM du 12 au 14 avril 2023 avec le soutien de Hexagram et de l’AEDEPAUQAM.

Dans ce DEMO, Theunissen revient sur ces 3 aspects de son travail : l’investigation de la sensation de connexion, le design de dispositif technologique (en) partenaire et les stratégies de diffusion de la forme laboratoire en arts vivants.


Une enquête artistique sur les dynamiques chorales

Quelles sont les dynamiques relationnelles qui permettent l’émergence de la sensation de « connexion » entre des individus improvisant ? Quels sont les critères qui nous permettent d’identifier qu’on vit un moment de connexion avec d’autres, quelle en est l’importance dans le contexte d’improvisation et ces connexions sont-elles observables pour des témoins externes ? Finalement, quelle est l’étendue de notre sensation de connexion envers les autres qu’humains et pouvons-nous faire collectif en scène avec des technologies d’intelligence artificielle ? C’est à partir de ces questionnements que Marine Theunissen lance le projet GENERATIVE CHORUS afin d’investiguer la sensation de connexion entre partenaires dans la pratique improvisée du mouvement collectif en contexte technologique. Elle s’intéressera ainsi, par le biais de multiples laboratoires menés depuis 2018, aux conditions d’émergence, à ce qui empêche et à l’ensemble des stratégies, états et phénomènes collectifs qui gravitent autour de la sensation de connexion.

Lors de son enquête, Theunissen pose comme cadre de base une proposition chorégraphique structurée autour de « règles de déplacement » inspirée des murmurations d’oiseaux (comme les étourneaux) qui forment un « régime de mouvement collectif improvisé » : 

  1. Ne bouger qu’en réaction aux autres ;
  2. Rester constamment en mouvement ;
  3. Jouer sur les (dés)équilibres et les frontières (macro-micro, dedans-dehors, équilibré-chaotique, etc.) ;
  4. Entrer, sortir et terminer lorsque désiré ou nécessaire.

Ces règles sont la version la plus récente du régime de mouvement collectif improvisé. Les propositions de mise en mouvement que ces règles formulent laissent place à l’interprétation des interprètes et du collectif qui s’en emparent, les essayent, les réfutent, les adaptent dans une négociation constante. 

L’une des trouvailles de cette investigation sur les dynamiques chorales repose sur l’identification du rôle de l’évaluation constante de la justesse (des choix des interprètes, des réponses du dispositif, de l’action au sens large) dans la sensation de connexion pour les interprètes (et potentiellement les témoins).


Le design d’un dispositif technologique en partenaire

Dans le but d’expérimenter les enjeux, les limites et les possibilités relationnelles entre des performeurs humains et un dispositif incluant des technologies d’intelligence artificielle, Theunissen tente une approche du design de dispositif en tant que partenaire. Loin de souhaiter un modèle générique, elle développe avec Raphaël Dely (designer interactif) une réflexion sur ce qui ferait un « bon » partenaire pour le groupe de performeurs et performeuses du projet. Iels se nourrissent des expériences avec les humains en laboratoire d’expérimentation pour concevoir leur dispositif technologique. Leur but est de créer un dispositif qui performe et non pas un outil ou un instrument.

Ce dispositif fonctionne en 3 étapes et a utilisé le principe d’entrainement défendu par Fiebrink et Sonami sur l’entrainement des RNA à partir de petites banques de données

  1. Une caméra capte le plateau sur lequel les humains se déplacent et le flux vidéo est acheminé vers le programme MAX (IRCAM – Cycling74) ;
  2. Dans MAX, le dispositif traite les images vidéo pour en extraire des données de mouvement via plusieurs algorithmes d’apprentissage machine (Flot optique, blobs) issus de modules créés par Jean-Marc Pelletier et des calques codés par Raphaël Dely.
  3. Les données extraites permettent de déduire (par leur croisement) des informations telles que l’engagement dynamique des corps, le nombre de corps, la direction et l’intensité des mouvements, par exemple. Ces données permettent d’entrainer réseaux de neurones artificiels à identifier certaines configurations de l’improvisation collective via Wekinator (et le plugin de Fiebrink Input Helper).
  4. Les algorithmes d’intelligence artificielle (RNA) permettent de déterminer des répertoires musicaux ( notes de musique générées via des chaines de Markov créées par Benjamin Day Smith) et des effets de jeu (via Reaper et Amplitube). Ces informations permettent au dispositif de « jouer » d’un instrument virtuel dans Reaper en utilisant le Guitar Harmonics de Spitfire Audio pour générer un son de Guitare électrique modifiée.
  5. Finalement, un principe de jauges qui se remplissent et se vident au fur et à mesure de la performance viennent ajouter des éléments de surprise à l’interprétation via une variation de la sensibilité du dispositif et une transposition numérique des notions humaines de désir et d’ennui.

Theunissen et Dely ont mis au centre de leur design l’expressivité du dispositif et sa cohérence dans le contexte du travail de GENERATIVE CHORUS. Le processus du design a visé tout au long de ses itérations à expérimenter des processus qui soient accessibles aux artistes des arts vivants non accoutumés aux technologies en général et aux intelligences artificielles en particulier. Leurs choix en matière de design ne se sont donc pas arrêtés sur des principes de complexité et de performance de chacune des technologies, mais sur l’assemblage de technologies simples et sur le caractère collectif de l’agentivité du dispositif. Finalement, en suivant le principe d’entrainement sur des petits volumes de données, iels ont pu aller jusqu’à entrainer leurs algorithmes en scène.


Les processus de diffusion de la forme laboratoire en arts vivants

Défendant et structurant l’approche du laboratoire en tant qu’œuvre (laboratoire-œuvre), Theunissen porte également une réflexion sur les stratégies de diffusion entourant sa pratique.  Elle conçoit entre 2018 et 2023 des œuvres en arts visuels et médiatiques et en arts performatifs afin de mettre le public en contact avec le processus en train de se faire. Sa première initiative en ce sens s’est développée en collaboration avec Hexagram dans le cadre de l’exposition Taking Care commissariée par Anna Kerekes lors du Festival Ars Electronica en 2018.

Theunissen a ainsi commencé à développer ce qu’elle appelle des œuvres-documents qui, à partir des trouvailles et des processus du laboratoire-œuvre permettent de partager des aspects singuliers de la recherche-création. À Ars Electronica, elle présente un triptyque d’œuvre : 

  1. Une performance participative qui propose à des membres volontaires du public de se déplacer selon les mêmes règles que les performeurs et performeuses en laboratoire ;
  2. Un micro documentaire qui vulgarise la démarche générale du projet et partage des premières analyses sur fond de documentation de pratiques (captations vidéo des improvisations en laboratoire – LAVI 2018) ;
  3. Un jeu vidéo multijoueur (jusqu’à 14 personnes) qui tente de transposer une partie de l’expérience d’improvisation des interprètes en improvisation afin que les joueurs et joueuses puissent les expérimenter par ce médium. Ce jeu vidéo expérimental a été cocréé Raphaël Dely et Robert Edilber.

En 2021 la commissaire Emilia Paunescu offre une carte blanche à Marine Theunissen qui crée l’œuvre-document Labelling pour le festival NOVA à Bucarest. Dans cette installation, Theunissen explore le processus d’étiquetage dans le but de générer une banque de données artisanale pour son projet. Témoignant des questions que soulève en elle les dimensions pratiques et éthiques de l’étiquetage, elle s’inscrit dans une démarche de transparence des actions humaines dans la conception de banques de données en I.A. Le partage de son travail à travers ses propres pensées et des témoignages des interprètes avec le public génère à son tour une forme d’opacité par surabondance. Cette installation faites de papiers et de miroirs suspendus intègre également des tablettes numériques qui diffusent en continu des phénomènes singuliers du collectif improvisant via un montage d’images de documentation de laboratoire. L’installation contient aussi une expérience interactive qui propose au public de générer ses propres étiquettes à partir de leurs propres observations du mouvement.

Lors de la diffusion doctorale en avril 2023, Theunissen et Dely cocréent une installation sur le modèle de la carte heuristique souvent utilisée dans le contexte de la recherche-création en contexte académique. Dans une démarche performative et en détournant cet outil méthodologique (mind-map), iels reviennent jour après jour pendant une semaine sur l’ensemble du projet (2018-2023) et spécifiquement sur ce qui a nourri les choix de design du dispositif technologiques. Cette œuvre-document ainsi que le jeu vidéo multijoueur ont été exposés en parallèle des expérimentations publiques offertes entre le 12 et le 14 avril 2023 à l’Agora du Cœur des Sciences de l’UQAM grâce à Hexagram.

Fort·e·s de leur expérience et de leurs multiples collaborations en création d’expériences interactives pour la scène et les arts numériques, Dely et Theunissen décident de former le collectif LABORARE en 2022. 

Du 2 au 5 novembre 2023 iels présenteront le projet Effet d’Entraînement à Tangente dont certains aspects héritent de la recherche-création GENERATIVE CHORUS. Iels se lancent aussi dans deux nouveaux projets : Rising Tides(2024-2025) une performance technologique pour une interprète et de l’eau ; et Veilleuses (2024-2026), une pièce de théâtre de science-fiction sous la forme de 3 solos.

Biographie


Marine Theunissen est une performeuse, metteure en scène et chorégraphe engagée dans les approches expérimentales au croisement des arts vivants et des intelligences artificielles. Ancrés en recherche-création, ses processus créatifs sont directement influencés par les champs des arts vivants, de l’anthropologie et des technologies, et prennent la forme de « laboratoire-oeuvres ». Depuis 2016, elle se dédie aux protocoles en improvisation collective (danse), à la place des intelligences artificielles en arts vivants ; ainsi qu’au design de technologies en tant que partenaires de jeu. En plus de son implication dans le milieu des arts vivants où ses laboratoire-oeuvres prennent place, Theunissen crée également des oeuvres-documents qui explorent les « données » de laboratoire via divers médiums artistiques au sein d’installations interactives qui sont exposées dans à l’international (Ars Electronica, NOVA). En 2022 elle cofonde officiellement le collectif LABORARE qui vient concrétiser un partenariat de plusieurs années en cocréation avec le designer Raphaël Dely.

Cette publication est également disponible en : English (Anglais)