DEMO45 Benoît Brousseau — Remuer les cendres

Avril 2024

L’exposition Remuer les cendres est le fruit du travail de fin de maîtrise de Benoît Brousseau [membre étudiant, UQAM]. Cette installation combine des éléments visuels, vidéographiques et sonores pour explorer une thématique émouvante : les corps non réclamés de personnes défuntes à Montréal. L’étudiant cherche à élaborer un récit funéraire à travers des textes et des images, offrant ainsi une mémoire à ceux qui ont été oubliés. En partant d’une liste de noms trouvée sur le site Web du cimetière Le Repos de Saint-François d’Assise, il mène une enquête artistique sur leurs vies, en étudiant les rapports du coroner. Ce processus lui permet de créer un lien d’appartenance avec ces personnes anonymes.

Cette exposition représente la conclusion de son travail de recherche-création en arts visuels et médiatiques, supervisé par Gisèle Trudel [membre cochercheuse, UQAM]. Benoît Brousseau se présente comme un artiste engagé socialement, cherchant à mettre en lumière des sujets tabous de notre société contemporaine, dont les corps non réclamés.


Dévoiler l’anonymat / Rendre hommage aux oubliés

La plupart du temps, les sujets de recherche choisi par Benoît découlent de ses expériences personnelles et autobiographiques, grâce auxquelles il raconte sa propre histoire à travers celle des autres. Il cherche à transcrire le silence en donnant la parole aux oubliés. Souvent, à travers ses œuvres, il est question du temps qui passe et façonne l’identité, de la mort et de la souffrance physique et psychologique, de la quête de repères, de la mémoire des lieux, des gens et des choses.

Dans le cadre de son projet de maîtrise, Benoit Brousseau s’est engagé à concevoir des récits à partir du seul élément tangible disponible, à savoir le nom propre de personnes décédées, mais non réclamées qu’on retrouve à l’intérieur des rapports du coroner.  Néanmoins, à travers une approche d’enquête artistique, il s’efforce d’imaginer la vie de ces individus anonymes disparus. Par le biais de cette exploration, il cherche à repousser les limites des rites funéraires traditionnels en proposant de nouveaux récits visuels et textuels qui rendent hommage à ces individus et à leur existence souvent méconnue.

Selon une méthode d’enquête, il a sélectionné le nom de personnes défuntes dont le corps n’a pas été réclamé. Cette liste de noms se retrouve sur le site Web du coroner et celle du cimetière Le Repos de Saint-François D’Assise de Montréal. Cette liste contient les informations suivantes : la date de naissance et de décès ainsi que l’adresse (le dernier lieu d’habitation) où le coroner a pris connaissance du décès. Ensuite, par une marche témoin et dans un périmètre précis de Montréal, il a étudié les quartiers des habitations en prenant des photographies et en enregistrant les sons urbains. L’utilisation de ces médiums et les rapports des coroners influenceront sa méthode de composition des récits.

Par la suite, il a pu matérialiser ce projet avec l’aide d’un logiciel de son (Audition), et d’un logiciel de traitement de l’image (Photoshop), de son ordinateur, d’un magnétophone, de son appareil photo, de différents récits et de son écran de 40 pouces avec lequel il a projeté la trame sonore urbaine dans le but de réaliser une vidéo des trames de la bande audio. Cette étape lui a permis de travailler la vidéo HD à partir du logiciel (Première pro). C’est en incrustant les images fixes des visages flous qu’il a pu finaliser la vidéo. Ensuite, il a élaboré ce projet à partir d’échantillons sonores dans lesquels il récite les noms des personnes non réclamées.

C’est à partir de son dernier cours à la maîtrise qu’il apprend le concept de la transmodélisation. En effet, ce concept devient définitif comme processus de création pour que le son puisse devenir un corps visible, une image, une ligne de dessin. Ce processus consiste à transposer des signes textuels en signes visuels mobiles (mouvement, geste, espace, temps), en images fixes (dessin, photo, symbole, objet) ou en représentations sonores (parole, bruit, musique). 

Donc, la série d’images imprimées sur un papier translucide résulte de très simples manipulations effectuées sur l’ordinateur, c’est-à-dire qu’il réalise des captures d’écrans à partir d’arrêt sur image de différents instants localisés à l’intérieur des fichiers sons. Pour ce faire, il prend des décisions esthétiques, car c’est très aléatoire, et il doit appuyer sur son clavier de la dernière syllabe enregistrée du prénom de la personne non réclamée, et il fait la même action pour le nom de famille. Cela suggère un dialogue entre une image fixe, la saisie graphique du son de la voix, et le phonème précis qui l’engendre. Comme il est impossible à première vue de savoir que ces dessins représentent les personnes non réclamées, il a ajouté leurs noms au bas de chacun d’eux. En revanche, cet agencement suscite une forme d’ambiguïté et est donc plus susceptible, il lui semble, de faire naître une polysémie.

Au cours de son projet de recherche-création, Benoît Brousseau s’est tourné vers diverses références théoriques provenant de domaines intellectuels variés, notamment les travaux de Vladimir Jankélévitch, de Vinciane Despret, ainsi que ceux du fondateur de la thanatologie, Louis-Vincent Thomas. En outre, ses sources d’inspiration artistiques incluent des figures telles que Christian Boltanski, Teresa Margolles, Andres Serrano et Araya Rasdjarmrearnsook.

Entrer en résidence

Dans la semaine précédant le début de sa résidence artistique à la salle d’expérimentation d’Hexagram-l’UQAM, Benoît Brousseau a pris les décisions finales concernant les éléments qui composeraient son exposition. Ainsi, dès le début de sa résidence, il a été assisté par des proches afin de l’aider dans diverses tâches. Étant donné que sa pratique artistique habituelle ne se concentre pas principalement sur l’installation, la création d’une installation au sol prenant une forme sculpturale est devenue une problématique nouvelle. En réalité, il s’est retrouvé désorienté et paralysé face à l’espace de la salle d’expérimentation et la nécessité de concevoir une scénographie. Dans cette optique, il a sollicité l’aide de deux amies pour réaliser l’installation au sol comme point de départ pour ensuite élaborer sa propre installation. Cette représentation visuelle lui a été essentielle pour conceptualiser l’exposition dans sa totalité. Après quelques mois de recul, il réalise qu’il a bien réussi à faire ressortir l’approche du récit et de la transmodélisation. En effet, il a bénéficié de retours positifs de ses pairs, confirmant l’efficacité de ses techniques. Benoît a alors constaté qu’il a réussi à mettre en avant ces aspects en visualisant la documentation de son exposition.

Images reproduites avec l’aimable autorisation de Benoît Brousseau.


Avant son établissement à Montréal en 1999, Brousseau demeure dans l’Outaouais où il développe une carrière professionnelle en tant que coloriste, nouant des liens significatifs avec sa clientèle grâce à des dialogues portant sur des sujets intimes, souvent considérés comme tabous. Au fil du temps, ce lien conducteur marquant lui a permis d’enrichir sa pratique artistique en puisant de ses dialogues personnels, de ses propres expériences vécues, et accordant une attention particulière aux enjeux sociaux tels que le VIH, l’inceste, la solitude, la mort et la maladie.

Après l’achèvement de son baccalauréat en arts visuels et médiatiques (volet création), il a choisi de poursuivre ses études au niveau de la maîtrise, toujours à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il est lauréat de la prestigieuse bourse d’excellence de recrutement (FARE/2018-2019). Son travail artistique l’a également conduit à participer à diverses expositions collectives, notamment au sein du Cuisinage. Ce collectif composé de trois artistes se dédie à l’exploration de l’identité individuelle, des espaces et des communautés, dans le but d’accroître l’accessibilité à l’art et de l’intégrer dans la vie quotidienne des individus.

Remerciements

Benoît Brousseau exprime avant tout sa profonde gratitude envers sa directrice de recherche, Gisèle Trudel, dont le soutien a été inestimable tout au long de son parcours académique à la maîtrise. Il tient également à reconnaître le soutien précieux d’Hexagram-UQAM. Ainsi, il adresse un grand merci à toute l’équipe technique.

Bien entendu, il souhaite exprimer sa reconnaissance à tous ses amis pour leur aide précieuse dans la préparation et la réalisation de son exposition dans la salle d’expérimentation d’Hexagram-UQAM lors de sa résidence. En particulier, il tient à remercier chaleureusement Linda Côté, Jean-Marie Gardien, ainsi que son défunt conjoint Kevin McKie.

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