Mai 2024
La Plage aux Crabes est une installation immersive réalisée par Dimitri Delphin [membre étudiant, UQAM] qui invite le public à explorer un espace indéfini, entre réalité et imaginaire, en compagnie de fragments sonores de survivants du cancer. Sous l’influence de l’humeur changeante de la mer et des différents témoignages, les visiteurs sont entraînés dans un récit intime de la maladie.
Cette œuvre explore la place de la temporalité et des forces de reliances (acte de relier, de créer des liens entre des personnes ou des systèmes) dans la maladie, elle interroge notre rapport aux maux qui façonnent notre identité. La Plage aux Crabes est ainsi un exutoire personnel, mais aussi une invitation à la réflexion sur les expériences de vie que nous partageons tous, et sur leur transmission aux générations futures.
En utilisant un dispositif sonore immersif, cette création propose un récit commun entre plusieurs vies, invitant les visiteurs à se connecter à leurs propres souvenirs et émotions. La Plage aux Crabes est ainsi une expérience introspective, qui invite chacun et chacune à réfléchir à sa propre histoire et à partager ses expériences avec les autres.
Intentions et ancrages
À partir des concepts proposés par Alberganti (2013) Dimitri Delphin décide de travailler avec un dispositif sonore immersif : un dôme de 32 haut-parleurs. Celui-ci devient alors autant un outil de composition qu’un média à part entière, permettant alors de jouer sur la notion de frontière d’Alberganti dans les dispositifs multimédia immersif.
Basant sa recherche sur la construction du récit proposé et étudié par Ricœur (1983), Dimitri Delphin, à travers un ensemble d’entrevues, constitue un nouveau récit à partir de fragments d’actions vécues tout en leur attribuant une valeur de temporalité. Cet ensemble aux temps multiples devient alors un récit dans la linéarité qui n’existe qu’à travers le lien de causalité entre ces fragments. Ces morceaux d’histoires peuvent être diffusés dans l’installation en utilisant leurs valeurs temporelles comme direction pour se déplacer dans l’espace. Le dôme est séparé en 4 zones : le passé, le présent venant du passé, le futur et le présent venant du futur. La diffusion sonore est alors linéaire, mais sa perception par le public, fragmentée dans l’espace.
La construction du récit dans l’espace donne ensuite l’opportunité à Dimitri de créer un univers sonore spatialisé visant à apporter une tension pour mettre en place une frontière que le public traversera petit à petit dans l’installation (Alberganti, 2013). Ce n’est pas l’espace qui est immersif, mais la sensibilité créée par celui-ci dans le corps du visiteur qui rend l’espace et l’œuvre immersive.
Composition sonore et spatiale
La Plage aux Crabes est née à travers un ensemble d’itérations effectuées pendant la recherche permettant à Dimitri de toujours remettre en question l’équilibre du récit et sa visée. 5 entrevues (incluant la sienne) ont été effectuées durant lesquelles un véritable échange entre les participants et l’artiste a eu lieu. Ces 15 h d’enregistrement ont ensuite été réécoutées, classifiées et ont reçu une valeur temporelle déterminée en fonction de la temporalité de l’action décrite dans ces fragments.
Une première version de l’œuvre a ainsi été travaillée dans un dôme de 16 haut-parleurs utilisant le logiciel de montage Reaper et le logiciel SPAT Revolution pour la spatialisation. Ces deux outils sont restés présents du début à la fin du projet. Cette itération d’une durée de 16 minutes présentait les premiers résultats de recherche et de mise en place de l’univers de l’œuvre. C’est dans le cadre d’une première résidence à la mezzanine d’Hexagram UQAM que Dimitri a pu travailler sa véritable composition spatiale grâce au dôme de 32 haut-parleurs.
Les entrevues ont fait émerger les trois chapitres de l’œuvre ainsi que l’ambiance principale de l’univers. La notion de cycle revenant continuellement dans les discussions et accompagnée par l’origine latine du mot cancer qui est krabe a rapidement imposé l’univers de la mer. Celui-ci, éloigné du milieu médical, offre aussi l’opportunité de créer un ensemble distinct de paysages sonores. Les chapitres font alors autant évoluer le récit que l’univers qui les accompagne :
1. L’eau tumultueuse : les premières douleurs, les premières inquiétudes. L’instant où toute notre vie bascule et la vague nous happe.
2. La tempête : au plus profond, les cycles se mettent en place, la nouvelle réalité aussi. L’incidence psychologique, mais aussi physique, nous mène dans les tréfonds parfois sombres de la maladie.
3. Les marées : l’après-tempête, la mise en place de nouveau cycle. La présence du cancer sera là, à différents degrés, à différents instants de notre vie.
La seconde version a été présentée le 1er mai 2023 lors d’une présentation privée afin d’obtenir un ensemble de retours de la part du public. Ces informations précieuses ont permis à Dimitri de travailler sur la dernière version de l’œuvre. Accentuant les possibilités offertes par le système de 32 haut-parleurs, un travail important a été effectué afin de condenser l’œuvre pour une version finale de 20 minutes retravaillant les enjeux de sensibilité de la diffusion dans l’espace. La superposition de voix et l’ouverture à un espace sonore encore plus large ont permis d’accentuer l’immersion du public en les rapprochant des émotions vécues par ses anciens patients.
Présentation publique
La Plage aux Crabes a été présentée publiquement les 10 et 11 décembre 2024. La présentation vue par plus de 95 personnes a permis à l’artiste de retirer de nouveaux retours et de mesurer l’impact de ce projet sur le public. Les participants des entrevues présents ont pu alors partager avec Dimitri leurs ressentis et confirmer que sa proposition est un nouveau moyen de partager leurs histoires à leurs proches.
Captation lors de la présentation du 9 décembre 2023
Alberganti, A. (2013). De l’art de l’installation : la spatialité immersive. Éditions L’Harmattan.
Ricœur, Paul. (1983). Temps et récit. Éditions du Seuil
Remerciements
Dimitri souhaite remercier son directeur de recherche Simon-Pierre Gourd [membre collaborateur, UQAM] ainsi que son co-directeur Louis-Claude Paquin [membre cochercheur, UQAM], Elisa Sibert [membre étudiante, UQAM], Kasey Pocius [membre étudiant·e, McGill] ainsi que le Groupe de Recherche sur la Médiatisation du Son (GRMS) et l’équipe d’Hexagram-UQAM pour leur accompagnement tout au long des résidences.
Cette publication est également disponible en : English (Anglais)