Appel à contribution: Ludologie médiatique

Numéro coordonné par Thibault Philippette (Université catholique de Louvain) et Maude Bonenfant (Université du Québec à Montréal).

L’objectif de ce numéro est d’interroger la place qu’occupe le ludique dans la sphère médiatique contemporaine, autrement dit les formes de dissémination de jeux dans notre environnement médiatique.

Si on suit la définition qu’en a donné James Anderson (1988, p. 11), un média est « une activité humaine distincte qui organise la réalité en textes lisibles en vue de l’action ». Dans cette perspective, un jeu, avec son système de règles et ses objets (pions, dés, cartes, roulettes, ballons, costumes, avatars, écrans, manettes, etc.) est un média en ce qu’il organise une « réalité particulière » qui invite les joueurs à contribuer à travers leurs actions. Cela étant dit, on ne peut pas, a fortiori, considérer tout média comme étant de nature ludique. « Second degré », « suite de décisions », « règles », « incertitude » ou « frivolité » (Brougère, 2005, p. 58?59), par exemple, ne caractérisent pas l’ensemble de nos expériences médiatiques. Si les computer game studies (Aarseth, 2001) ont depuis le début des années 2000 défendu le caractère spécifiquement simulationnel et interactif des médias vidéoludiques, d’autres formes médiatiques traditionnelles et actuelles, a priori moins ludiques, offrent tout de même une « certaine place au jeu ». On peut en exemple songer aux gadgets glissés dans des magazines à destination d’un public jeune (sans pour autant désintéresser les moins jeunes), aux mots fléchés et sudokus qu’on retrouve traditionnellement dans les journaux, aux nombreux concours radiophoniques et jeux télévisuels, aux bornes interactives dans les musées ou aux concerts et spectacles participatifs. Notre société (médiatique) est-elle, comme l’avance Alain Cotta (1980), envahie par le jeu ? Dans son ouvrage Homo Ludens : Essai sur la fonction sociale du jeu, l’historien Johan Huizinga soulignait que l’émulation ludique est plus ancienne que la culture et qu’elle agit comme un ferment sur la vie sociale (Huizinga, 2008/1938, p. 241). Pour lui, toute culture nait et se développe à travers le jeu. Cependant, toujours selon l’auteur, à mesure que la culture s’institue et se modernise, elle perdrait de cette composante ludique (p.283). Cette thèse n’est pas partagée par le philosophe Jacques Henriot qui, au contraire, considère que l’idée de jeu s’applique à de nouvelles situations dont il aurait paru incongru de les considérer comme étant « ludiques » préalablement (Henriot, 1989, p. 27). Les tendances actuelles de la gamification ou ludification (Deterding, Dixon, Khaled, & Nacke, 2011) et des jeux utilitaires ou serious games(Alvarez & Djaouti, 2010; Kasbi, 2012) semblent indiquer un intérêt majeur pour le jeu, que ce soit en contexte scolaire, professionnel et bien sûr médiatique.

Partant du postulat d’Henriot suivant lequel l’idée de jeu pénètre de plus en plus nos sociétés (médiatiques) contemporaines, cet appel de la revue Recherches en Communication propose d’interroger ce rapport au ludique dans les médias pris au sens large, c’est-à-dire suivant la définition proposée par Anderson (cf. supra) qui considère les médias comme des activités communicationnelles dont les objets médiatiques en sont à la fois les traces et le support. La perspective est donc ici de traiter des activités ludiques qui dépassent le cadre strict des objets ludiques (les « jeux »). À ce titre, les propositions d’articles à publier pourront s’articuler sur un ou plusieurs des axes suivants :

  • Sur le plan de la conception : comment conçoit-on certains dispositifs ou objets médiatiques en incluant des mécanismes de jeu ? avec quelles intentions et objectifs ? comment générer une « idée de jeu » dans l’esprit des participants ?

    Cet axe permet d’interroger une grande variété de formes médiatiques sur le plan de leur conception, du parcours muséal au reportage photo immersif, en passant par les films d’animation ou les activités de team building dans les organisations, par exemple. Outre la dimension formelle de la conception, il sera pertinent d’interroger le rôle attribué au ludique en termes d’effets sur les pratiques de réception et de participation.

  • Sur le plan des pratiques : comment certains contextes voient émerger des pratiques considérées comme des jeux ? Parler de « jeu » semble aujourd’hui assez naturel dans des contextes théâtraux, cinématographiques ou même musicaux (si on songe au jeu des acteurs ou musiciens). Or, qu’en est-il lorsque des objets médiatiques de type « jeux » apparaissent dans des contextes professionnels et organisationnels, scolaires et éducatifs, privés et familiaux, ou encore hospitaliers, carcéraux, aéroportuaires, etc. Qu’apporte l’usage du jeu ou des jeux ? Quels en sont les freins et facilitateurs ? Quelles en sont les parties prenantes et pourquoi ? Ces questionnements, loin d’être exhaustifs, indiquent qu’il s’agit d’analyser les fondements de ces « nouvelles » pratiques ludiques, sans pour autant écarter de l’axe proposé des situations où des aspects ludiques existants se voient transformés dans les pratiques actuelles (par exemple le jeu des acteurs dans le contexte du cinéma d’animation).
  • Sur le plan des métiers : Quels nouveaux métiers ou convergences de métiers sont nécessaires à la conception et aux usages d’objets médiatiques ludiques ? On peut songer par exemple à la rencontre de chercheurs en jeu et d’artistes pour la création d’œuvres interactives ludiques dans les espaces publics, de spécialistes de la narration et de l’interactivité dans la production de webdocumentaires, des techniciens de l’animation et de metteurs en scène dans certaines productions théâtrales, d’enseignants et de game designers dans la réalisation de serious games et, bien sûr, de nouveaux métiers tels les concepteurs d’expérience (UX designers), architectes de narrations transmédias (storyteller and transmedia planner) et bien d’autres encore. En résumé, cet axe s’intéresse aux transformations des métiers et aux formes d’hybridation nécessaires à des secteurs d’activité qui, au départ, ne sont pas spécialisés dans la création ludique.
  • Sur le plan de la recherche : Quel est le statut des études du jeu (et pas uniquement des études du jeu vidéo) par rapport au champ des études de la communication ? Quelles sont les oppositions, convergences, spécificités, complémentarités, etc. ? Quels outils et méthodes les études du jeu peuvent apporter à l’analyse plus large des médias ? À l’inverse, comment l’étude des médias permet-elle de mieux comprendre le jeu en tant que sphère médiatique ? Cet axe propose d’interroger le champ des études du jeu (« game studies »), s’il en est un (Rueff, 2008; Zabban, 2012), au regard des études en communication et des études médiatiques, ceci afin d’établir des ponts disciplinaires.
  • Sur le plan éthique et politique : Vouloir se servir du jeu pour repenser le monde et donc les médias (McGonigal, 2011) pose de nombreuses questions éthiques et politiques. Si on ajoute du « second degré » à toutes nos activités médiatiques, qu’en est-il de notre rapport au premier degré ? Vouloir « tout jouer » ne tue-t-il pas le fondement même du jeu, à savoir la liberté de l’activité ludique ? Ces tendances ne sont-elles pas dictées par des acteurs cherchant à pénétrer d’autres marchés que celui du divertissement ? Ce dernier axe ouvre sur des propositions qui s’intéressent aux dimensions politiques des industries culturelles médiatiques, aux questions éthiques liées au fait de concevoir (ou non) le jeu comme un média (qui véhicule des valeurs) ou encore aux analyses plus critiques de dispositifs médiatiques ludifiés.

Cet appel est ouvert aux contributions théoriques et/ou empiriques, ainsi qu’aux questions de méthodes d’observation et d’analyse. Les propositions devront respecter le calendrier et les modalités décrites ci-dessous.

Modalités de réponse à l’appel à proposition d’articles :

Merci d’adresser votre proposition d’article (sous forme de résumé de maximum 5000 signes, tout compris) par courriel à thibault.philippette@uclouvain.be avant le 29 septembre 2017. Les résumés comporteront un titre, 5 références bibliographiques ainsi que les noms, adresse(s) électronique(s) et statut(s) de leur(s) auteur(s).

Les résumés seront évalués par les directeurs du numéro, notamment concernant la pertinence par rapport au sujet du numéro. La réponse sera donnée très rapidement (au plus tard le 20 octobre 2017).

Les auteurs dont le résumé a été accepté sont invités à soumettre la version complète de l’article (maximum 30 000 signes) sur le site de la revue, au plus tard le 26 janvier 2018.

Les articles seront vérifiés par l’auteur pour garantir l’anonymat (voir rubrique « identification des auteurs dans le manuscrit » des consignes aux auteurs de la revue) et soumis à l’évaluation en « double-aveugle » par le comité de lecture de la revue. La réponse sera donnée au plus tard le 23 mars 2018. La publication finale des articles révisés se fera au plus tard le 29 juin 2018.

Les articles soumis et acceptés pour publication dans ce dossier sont publiés un à un sur le site, au moment de leur finalisation, sans attendre que l’ensemble du dossier soit prêt à être publié.

Consignes de rédaction de l’article dans sa version finale : 30 000 signes maximum par article (espaces et références comprises, résumé et mots-clés non compris), si possible agrémenté d’illustrations (libres de droit). Les modalités de présentation complètes sont disponibles sur le site.

Calendrier (récapitulatif) :
  • [29 septembre 2017] : envoi du résumé de l’article (max. 5000 signes).
  • [20 octobre 2017]: réponse sur l’acceptabilité du résumé.
  • [26 janvier 2018]: remise de la version complète de l’article sur le site de la revue.
  • [23 mars 2018]: notification de la réponse du comité de lecture.
  • [29 juin 2018] : Publication des articles sur le site de la revue.
contact

Thibault Philippette
thibault.philippette@uclouvain.be
c/o COMU, Université catholique de Louvain
Ruelle de la lanterne magique, 14 bte L2.03.02
B-1348 Louvain-la-Neuve, Belgique

Maude Bonenfant
bonenfant.maude@uqam.ca
c/o Département de communication sociale et publique (UQAM)
C.P. 8888, succursale Centre-ville
Montréal, Québec
H3C 3P8