DEMO16 Sylvie Laplante – TRAme TRAjet TRAce : lier un fil sonore

Février 2022

La généalogie vise à discerner au sein de notre être historique les lignes de contingences où s’esquissent un « changement possible et souhaitable » les pointes de rupture de notre conscience historique.

Guillaume Sibertin-Blanc, Les impensables de l’histoire.

TRAme TRAjet TRAce : lier un fil sonore, est le parcours d’un trajet de migration des ancêtres de Sylvie Laplante [membre étudiante, UQAM] qui a tout d’abord débuté par une enquête généalogique.

L’oeuvre, une installation sonore, tente de répondre à la question : En quoi une trame généalogique peut-elle servir à une continuité ? Peut-elle générer de nouveaux récits dans des directions et des formes qui échappent à sa structure arborescente et autoritaire?

Dans cette recherche-création, la généalogie a servi de TRAme où l’audio a ouvert la voie à des filiations qui échappent à la généalogie, pour produire un agencement de compositions sonores qui se renouvelle constamment, dû à différentes durées et temporalités dans ses jeux et à une répartition en différentes zones dans un espace de diffusion.

Écouteurs recommandés pour une meilleure expérience d’écoute

Suite à une recherche sur ses ancêtres maternels, Sylvie Laplante a réalisé un TRAjet à pied qui suivait leur ligne de migration depuis ville La Prairie au sud de Montréal, jusqu’à la frontière canado-américaine. Dans son trajet, elle a enregistré des sons avec divers types de micros : binauraux qui captent les sons selon la position des oreilles humaines, hydrophone, hypercardioïde ou « Shotgun » directionnel pour capter plus précisément des sons éloignés, et des micros contact qu’elle a fabriqués pour capter le son intérieur d’objets et de matières. De nombreux enregistrements furent réalisés: zone urbaine, banlieue et champs agricoles ; espaces intérieurs, rencontres et entretiens, et sonorités internes d’objets et de matières diverses: structures métalliques, bois, verre, plantes, eau… Avec les micros contact, le trajet de marche est devenu un laboratoire de captation sonore, un espace haptique plutôt qu’optique, et un ensemble de fichiers numériques.

TRAce est la partie où le trajet a été recomposé dans l’interface de montage sonore. Les enregistrements audio du trajet sont devenus visuels sous la forme de bandes colorées à découper, fragmenter, déplacer et recoller. Dans ce processus, l’ordre chronologique des enregistrements a été déconstruit pour être recomposé en de nouveaux agencements. Huit montages audio de différentes durées ont été réalisés en double mono et en multicanal 7.1, appelés à jouer simultanément et en boucle, en prévision d’un décalage constant dans leur jeu. Dans l’ensemble, 21 bandes sonores mono allaient être diffusées dans l’espace.

La diffusion du projet a eu lieu en novembre 2021 à la Salle d’expérimentation de Hexagram-UQAM. Les montages sonores ont été diffusés par 21 haut-parleurs à vue et dissimulés et mis en fonction individuellement. La configuration de la salle a permis l’installation en cinq zones sonores qui s’interpénétraient entre elles. À l’entrée, des captations effectuées dans les cimetières de Hemmingford et de Saint-Chrysostome avaient résulté en deux compositions sonores en double mono issues de matières exposées aux éléments de la terre et du vent. Au bout d’un couloir, l’on parvenait à une zone de sons captés à la frontière canado-américaine : quatre haut-parleurs faisaient face à un mur, en écho au seuil rencontré par l’artiste dans son trajet à pied et à l’impossibilité du passage. Tout près, sur une borne, un coffret contenait des photographies flouées. En collant l’oreille au coffret, deux haut-parleurs vibrants intégrés permettaient d’entendre le son de voix dont les propos divergeaient selon qu’ils s’appuyaient sur des archives, la mémoire ou des récits. Dans un espace central, sept enceintes orientées en cercle diffusaient une composition en 7.1 canaux, de sons captés à ville La Prairie sur la rive-sud de Montréal. À cet endroit s’était établi l’ancêtre Clément Lériger-dit-Laplante arrivé de France en 1785 et de là, partait la migration de ses descendant.e.s vers le sud et la frontière Can.-É.-U. Dissimulés derrière un rideau, quatre autres enceintes diffusaient deux compositions en double mono qui s’agençaient à l’ensemble des autres zones sonores par des sons glanés tout le long du trajet : route, trafic, espaces de jeux, boisés, sons de pas, sons de structures, humains, oiseaux, machineries…

Pour l’artiste, cette œuvre sonore qui résulte de moult transformations et croisements, réactive un vécu particulier de la marche, des moments et des souvenirs, mais ce trajet généalogique initial n’a plus d’importance ; le son seul convoque à de nouvelles perceptions et expériences. La généalogie offre un récit incomplet, sélectif, visuel ; elle supprime beaucoup de choses alors qu’elle en sélectionne certaines. Le son fonctionne indépendamment et échappe à cette structure. Il utilise ce que la généalogie supprime, néglige ou oublie et active un potentiel de continuité en une multitudes de nouveaux récits. L’espace de diffusion, la temporalité de l’expérience et l’interprétation interviennent dans la perception du public. Plongé dans la pénombre, l’espace veut susciter l’haptique. La frontière entre fiction et réalité devient floue ; le vécu active une mémoire qui peut se tromper et l’attention sélectionne des éléments pour en fabriquer d’autres histoires. Quoiqu’il puisse l’interpeler, le son échappe à la mémoire. Il est toujours ancré dans le réel, au présent.

BIOGRAPHIE

Sylvie Laplante possède une formation théâtrale et a œuvré plusieurs années sur les routes du monde comme guide touristique. Dans sa pratique interdisciplinaire, elle scrute des territoires en parcourant à pied des trajets urbains, ou par des expéditions de plus longues distances sur des itinéraires qui lui sont inconnus, souvent orientés vers des zones frontalières. De ces déplacements, elle recherche des moyens et des formes qui peuvent en susciter des expériences et des mouvements de continuité, plutôt que d’en établir des archives fixes. Ses projets amalgament plusieurs médiums, moyens et dispositifs : dessin, peinture, vidéo, audio, photographie, sculpture, amalgame d’objet, manœuvre, action urbaine et territoriale, installation. Elle a réalisé des projets en Suisse, en Allemagne, en Espagne et au Québec où elle a bénéficié du soutien du CALQ. Elle est membre étudiante de Hexagram-UQAM.

Remerciements

Sylvie Laplante remercie les personnes qui ont collaboré à sa recherche-création, le service de l’audiovisuel et l’équipe des technicien.ne.s médiatiques de l’ÉAVM ainsi que les organismes qui l’ont soutenue : la Fondation de l’Université du Québec, l’UQAM avec la bourse institutionnelle d’excellence à la maîtrise en arts visuels et médiatiques, la bourse du Fonds des professeurs de l’ÉAVM, et Hexagram-UQAM avec l’octroi de la bourse à la recherche et son programme de résidence. Elle remercie ses professeur.e.s et particulièrement sa directrice de recherche Gisèle Trudel, artiste et professeure à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM et Stéphane Claude, compositeur et ingénieur du son, responsable de l’aire audio à OBORO, pour l’avoir guidée dans le travail avec le son.

Pour suivre son travail, nous vous invitons à visiter : sylvielaplante.com

Image : Trajet Candiac – St-Philippe, 24 septembre 2020.

Cette publication est également disponible en : English (Anglais)