Juin 2022
devenir-lumière est un projet de recherche-création qui a pris la forme d’une série d’interventions réalisée au printemps 2022 par catherine lejeune [membre étudiant.e, UQAM] dans le cadre d’une résidence à Hexagram.
Alors que le capitalisme se mute en néolibéralisme, les biopouvoirs sont remplacés par les psychopouvoirs (Han, 2016). Plutôt que de contrôler-surveiller le corps du prolétariat, les institutions s’attaquent maintenant à la conscience qui assure la majorité de la production économique. Dans ce contexte concurrentiel où les humain.e.s sont isolé.e.s, hyper-responsabilisé.e.s et surmené.e.s, la dépression et l’anxiété deviennent des troubles endémiques (Berardi, 2005).
Ce projet vise à approfondir les réflexions autour des rôles et la puissance de la recherche-création que j’ai développées dans le cadre de mon mémoire. L’art possède-t-il le potentiel de déjouer les dispositifs de pouvoir actuels? Une œuvre permettrait-elle de contrer le manque de sensations qui est causé par le contexte technopolitique qui s’est exacerbé depuis la pandémie? Est-il réaliste de penser qu’une pratique artistique puisse contribuer à améliorer le monde ?
Grâce à l’espace et aux ressources offertes, j’ai ainsi eu l’occasion de tester si mon hypothèse de recherche me permettrait de répondre à ces questions. Plus exactement, cette résidence m’a permis de jouer avec des matières qui interagissent au contact de la lumière et d’expérimenter les effets hallucinatoires des stroboscopes sur mon esprit. Le but était d’observer si ces interventions me permettraient d’altérer ma conscience et d’induire un état de bien-être profond, proche de celui qui peut être contemplé lors de méditations transcendantales (ter Meulen, Tavy et Jacobs, 2009).
STROBOSCOPE, PERCEPTION ET CONSCIENCE :
En fixant un stroboscope les yeux fermés durant plusieurs minutes, différents phénomènes perceptuels intéressants sont apparus devant moi. J’ai d’abord remarqué des cercles et des pixels fluorescents qui se complexifiaient plus je les observais. Après cinq minutes, je distinguais des formes géométriques précises aux couleurs éclatantes, qui s’organisaient et bougeaient à la manière d’un mandala kaléidoscopique. Ces manifestations fractales tournaient sur elles-mêmes à un rythme assez rapide pour induire un sentiment de vertige. Au bout d’une douzaine de minutes, j’ai éventuellement ressenti une impression de vide total, mais réconfortant.
Cette expérience me fait penser aux techniques de scrutation qui sont retraçables jusqu’à l’Égypte antique et qui permettent d’accéder à des visions intuitives ou psychiques. Par exemple, je pense à celle où il suffit de passer rapidement une main devant la lumière du soleil ou d’une lampe à l’huile (Haill, 2014). Dans plusieurs cultures et jusqu’à aujourd’hui, des techniques connexes existent et permettent d’accéder à ce phénomène divinatoire.
Avec l’invention de l’électroencéphalogramme au début du vingtième siècle, différents milieux de recherche se sont intéressés aux effets physiologiques de la stimulation photique sur l’esprit (ter Meulen, Tavy et Jacobs, 2009). Bien que l’origine de ces images mentales reste incomprise, les dialogues qui ont été échangés depuis entre les scientifiques et les artistes ont néanmoins permis de réaliser que les stroboscopes agissent en tant que moyen non pharmacologique d’induire des états de conscience altérés (ASC) (Haill, 2014).
Par cette occasion de confirmer la probabilité de mon hypothèse, je poursuivrai l’analyse de mon sujet de recherche avec confiance tout en sachant de façon située quelles sont les sensations et les impressions ressenties lors d’une stimulation stroboscopique. Il sera possible de suivre l’évolution de ce projet sur mon site.
BIOGRAPHIE :
catherine lejeune (elle, iel, iels) est un.e artiste-chercheureuse né.e à Tiohtià:ke/Mooniyang/Montréal. Inspiré.e par ses études en psychologies et les mouvements artistiques des années soixante-dix, sa pratique en arts médiatiques et en installation vise à développer un dialogue transversal entre la politique, la technologie et la conscience. Candidat.e à la maîtrise en arts visuels et médiatiques à l’Université du Québec à Montréal, lejeune a partagé son travail dans différentes galeries, conférences et résidences, tant au Canada qu’en Europe.
REMERCIEMENTS :
catherine lejeune souhaite remercier le réseau Hexagram, son directeur Philippe-Aubert Gauthier, Jason Pomrenski et son équipe ainsi que Jonathan Labrecque Poirier pour le support précieux offert dans le cadre de ce projet.
RÉFÉRENCES :
Berardi, F. (2005). What does cognitariat mean? Work, desire and depression. Cultural Studies Review, 11(2), 57-63.
Haill, L. (1-4 avril 2014). ICT & Art Connect: Revelations by Flicker, Dreamachines and Electroencephalographic signals in art. Conference AISB50 : The Future of Art and Computing, A Post-Turing Centennial Perspective, Goldsmiths University, Londres, Royaume-Uni.
Han, B.-C. (2016). Psychopolitique. Le néolibéralisme et les nouvelles techniques de pouvoir. Circé.
ter Meulen, B.C., Tavy, D. et Jacobs, B.C. (2009). From stroboscope to Dream Machine: A History of Flicker-Induced Hallucinations. European Neurology, 62, 316-320. https://doi.org/10.1159/000235945.
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