DEMO28 Audrey Rochette – Playing Worlds

Février 2023

À l’été et à l’automne 2022, l’artiste et étudiante à la maîtrise Audrey Rochette [membre étudiante, UQAM] a pris part à deux projets de recherche qui ont fait l’objet de résidences intensives. Son expérience, au croisement de la danse, de l’analyse du mouvement, des arts médiatiques et de la robotique, l’amène à créer un écosystème artificiel dans le cadre de son mémoire-création Playing Worlds, et à participer au projet de recherche DESSAIM sur l’expressivité des essaims robotiques. L’interdépendance entre les individus d’un système est le point convergent de ces deux recherches; sa pratique s’engage dans une recherche sur l’expression qualitative des organisations collectives et hybrides impliquant le vivant et le non-vivant.


Recherche-création Audrey Rochette – Playing Worlds

De l’interdépendance des individus vivants et non-vivants

(Résidence en juillet et septembre 2022 au Département de danse de l’UQAM)

Playing Worlds est un écosystème artificiel prenant la forme d’une installation interactive et performative, où la dynamique interdépendante entre les individus vivants et non-vivants d’une écologie est reproduite et augmentée. Dans une scénographie hétérogène d’objets naturels et manufacturés, des capteurs de mouvements (ultrasons, IMU’s, infrarouges) sont disséminés. Ceux-ci produisent des médiations sonores lorsque les cinq performeurs⸱euse⸱s qui évoluent dans cet environnement s’en approchent ou les manipulent. Ces médiations deviennent alors des agents dans le rhizome de l’œuvre et interviennent dans les boucles rétroactives en motivant, accompagnant ou transformant les projets individuels et collectifs. Elles affectent également leurs sensations et leur relation au monde, chacun des individus étant à la fois reconfigurant et reconfiguré dans ce contexte. Le tissu sonore composé des médiations technologiques et des sons analogues produits par les interactions de la matière témoigne alors de l’activité du système en temps réel, et cela influence en retour les actions performatives.

Les cinq performeurs⸱euse⸱s aux pratiques diverses (art médiatique, art sonore, performance) évoluent dans un système d’improvisation ouvert basé sur l’écoute holistique de cet environnement audible. En renouvelant régulièrement une attention de type macro à ce tissu sonore, leurs sensations et leurs actions sont conditionnées par cette écoute globale plus passive qui prend état des phrasés dynamiques du monde. Ils⸱Elles prennent alors conscience de l’état du système et se positionnent par rapport à ce dernier. Ce type d’écoute est au cœur de la démarche : c’est par lui que l’artiste tente de créer des conditions d’accès au monde permettant que cet écosystème artificiel se repose sur des relations résonantes, au sens où Hartmut Rosa (2018) l’entend dans sa définition de la résonance selon laquelle deux entités d’une relation « se répondent l’une à l’autre tout en parlant de leur propre voix, autrement dit qui retentissent en retour » (Rosa, p.191). Les performeurs⸱euse⸱s sont ainsi invité⸱e⸱s à une alternance entre soi et l’autre et entre le sentir et l’agir dans une perspective holistique. Cette approche est une proposition d’alternative à l’anthropocentrisme des relations aux environnements habités; expérimentée dans cet écosystème miniature, elle offre, malgré son caractère artificiel, une expérience bien réelle pour les individus qui l’éprouvent. Dans ce système multiple et horizontal, des boucles rétroactives se créent perpétuellement, et forment le tissu d’interdépendance reliant les individus au système. La performance devient un vivarium d’où émergent des interactions et des comportements non prémédités et propres à l’écologie du moment. C’est là où Playing Worlds se relie au projet DESSAIM, et c’est précisément ce point d’intérêt qui conditionne la contribution d’Audrey Rochette à ce projet de recherche-création sur les essaims robotiques.


Crédits

  • Performeurs·euses : Élise Bergeron, Dominic Jasmin, Mathilde Loslier-Pellerin, Audrey Rochette, Alice Sanz ;
  • Lutherie numérique du dispositif co-produite avec artificiel : Alexandre Burton, avec l’aide de Samuel St-Aubin ;
  • Mentor et intégration mécanique : Stéphane Gladyszewski ;
  • Traces artéfactuelles : Maude Arès ;
  • Direction de recherche: Nicole Harbonnier (UQAM) et Alexandre St-Onge (Université Laval) ;
  • Montage vidéo Playing Worlds : Audrey Rochette, images captées par Philippe Poirier.
  • Image Playing Worlds en bannière de la DEMO : Philippe Poirier.

DESSAIM

(Résidence en octobre 2022 à l’Agora Hydro-Québec du Cœur des sciences de l’UQAM HEXAGRAM)

DESSAIM est une recherche-création visant à mobiliser et comprendre l’expressivité de différents essaims robotiques. Dans l’espace performatif constituant l’aire de jeu, les comportements de trois types d’essaims robotiques sont explorés afin de les déployer, selon leur potentiel de mouvement, à travers différentes qualités dynamiques et configurations spatiales.

Un essaim, ou swarm, est un groupe de robots auto-organisés évoluant ensemble dans un système non-hiérarchique. Leurs trajectoires et leurs décisions sont issues d’informations localisées (propres à chaque individu du groupe) ainsi que d’une communication décentralisée et distribuée entre tous à propos de leur positionnement en temps réel. Hamann (2018) explique comment l’auto-organisation d’un essaim robotique met en relation le micro (les individus) et le macro (la tâche commune) :

All robots act based on local perception while the swarm is supposed to complete a task that is defined on the macroscopic level. The idea of self-organization explains exactly this relation between micro and macro and gives an answer to the question how macro-structures can be generated based on micro-interactions only. (Hamann, 2018, p.16).

La résidence à l’Agora Hydro-Québec du Cœur des sciences – HEXAGRAM en octobre 2022 mobilisait trois types de robots en essaim s’inscrivant dans un rapport d’échelle différent : les Cogniflies (drones), les Dingos (bases oranges à roues munies d’un bras articulé Gen3lite de Kinova), et les Zooïds (petits robots non-articulés avec roues).

Pour détourner la fonctionnalité des artéfacts robotiques afin d’augmenter, contextualiser ou transformer leur expressivité, l’équipe travaille à partir de matériaux récupérés et recyclés tout en questionnant dans ce processus la relation de l’humain en interaction avec chacun de ces essaims.

Les programmations implémentées dans ce système collaboratif manifestent des comportements émergents dans l’essaim, et ces derniers sont plus ou moins lisibles pour l’observateur externe. En s’intéressant à l’expressivité des essaims robotiques par la création d’une œuvre artistique, le projet DESSAIM met en œuvre les qualités dynamiques, spatiales et temporelles qui permettent de construire du sens et de comprendre ces comportements émergents.

Cette résidence a permis à l’équipe artistique et de génie d’explorer les éléments expressifs de chacun des essaims, que ce soit par le contrôle manuel, par des programmations centralisées, ou par l’implémentation de programmations produisant des comportements émergents. Elle a aussi permis de rechercher des dispositifs scénographiques mettant en valeur l’expressivité de chacun essaims et de faire des explorations sonores issues de la constitution-même des robots et de leurs comportements, par le biais d’un micro-contact ou d’un micro-électromagnétique.

L’intérêt marqué d’Audrey pour l’interdépendance entre les individus et le système dans lequel ils s’inscrivent, à travers son propre projet de recherche-création Playing Worlds, ainsi que son expérience dans le domaine de la robotique, de la chorégraphie et de l’analyse du mouvement, ont porté son attention et sa contribution au projet DESSAIM vers la recherche de programmations émergentes. Ainsi, en plus de participer aux réflexions et aux explorations de l’équipe artistique, Audrey a particulièrement travaillé en collaboration avec Rafaël Gomez-Braga, étudiant à la maîtrise à l’ÉTS responsable de l’opération des Zooïds, afin de faire l’inventaire de tous les comportements centralisés et émergents qui composent la banque de mouvements actuelle. Cette base de travail a permis d’analyser l’expressivité des comportements existants et a offert à l’équipe artistique un lexique de mouvements pour effectuer des explorations scénographiques et sonores à partir de cette matière. Les Zooïds étant petits, ils permettent à l’observateur⸱trice de percevoir les comportements essaimiques dans une vue en plongée ou en contre-plongée. La recherche sur les Zooïds, à cet égard, permet de saisir l’essence d’un comportement, et les effets de sa traduction dans les autres essaims robotiques. À partir de la banque amassée, Audrey a effectué des recherches de sens sur les essaims en général, en trouvant des formules mathématiques extraites de plusieurs champs de pratique à propos des comportements de groupe, formules qui seront éprouvées lors de prochaines étapes de travail.

Merci aux partenaires du projet DESSAIM: ÉTS, le Département de danse de l’UQAM, Elektra, Casteliers et le Réseau Hexagram.


Crédits

  • La recherche-création DESSAIM est portée par les co-chercheurs David St-Onge, Professeur agrégé à l’École de technologie supérieure et Hélène Duval, Professeure associée au département de danse de l’UQAM.
  • Montage vidéo DESSAIM : Philippe Poirier, images captées par Maxime Pelletier-Huot.
  • Membres de l’équipe art : Marcelle Hudon (marionnettiste), Danielle Lecourtois (chorégraphe), Geneviève Dussault (chercheuse, UQAM), Audrey Rochette (chorégraphe, MA danse UQAM), Magali Babin (artiste sonore, DEPA, UQAM).
  • Membres de l’équipe génie : Giovanni Beltrame (Prof. Polytechnique), Vivek Shankar, Yann Bouthellier (Polytechnique); Jean Mazerolle, Ali Imran, Rafael Gomes, Matthis Di Giacomo (ETS).

Biographie

Chorégraphe interdisciplinaire, Audrey Rochette a un intérêt marqué pour le dialogue entre le corps et la technologie, la relation à l’altérité et les questions écosystémiques. Ses oeuvres ont entre autres été diffusées à Tangente et à La Chapelle – Scènes Contemporaines (Montréal), à Dance Matters (Toronto) et au Festivaleke (Charleroi, Belgique). En tant que performeuse, elle a dansé pour de nombreux.ses chorégraphes et artistes, dont la compagnie kondition pluriel qui oeuvre au croisement des arts médiatiques et de la performance.

Actuellement à la maîtrise en danse à l’Université du Québec à Montréal, Audrey est impliquée dans différents projets de recherche académiques à Montréal et à l’étranger, notamment auprès de Nicole Harbonnier et Geneviève Dussault en Observation – Analyse du Mouvement (OAM), auprès d’Hélène Duval et David St-Onge dans une recherche sur l’expressivité des essaims robotiques, ainsi que dans le projet en apprentissage robotique automatisé « Machine Movement Lab » mené par Petra Gemeinboeck. Elle travaille actuellement à la création de Diorama, une installation interactive et performative s’intéressant à l’éthique des relations entre le vivant et le non-vivant dans un écosystème artificiel composé d’individus matériaux, technologiques et organiques.

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