Août 2023
Xenolalia est un projet art-science créé par Sofian Audry [membre cochercheur·euse, UQAM] et TeZ [membre collaborateur] qui explore la sensibilité informatique et biologique par le biais d’une expérience vivante. L’œuvre met en relation un réseau neuronal artificiel et une colonie de micro-organismes dans une boucle de rétroaction où ils collaborent pour générer un alphabet vivant spéculatif. Ce processus apparaît à travers une série d’affichages à des échelles micro, méso et macro.
L’alphabet est créé à l’aide d’un processus morphogénétique itératif impliquant un réseau neuronal artificiel génératif et espèce de micro-organismes qui réagit à la lumière. Le réseau neuronal génère un glyphe qui est projeté sur la boîte de Petri. Attirés par la lumière, les micro-organismes se rapprochent de la forme, devenant dès lors un substrat photographique vivant. L’image qu’ils forment est capturée et renvoyée au réseau neuronal, qui génère une autre image en réponse. En répétant cette conversation interactive entre le réseau neuronal et la colonie de micro-algues Euglena gracilis, un symbole informatique-biologique hybride voit lentement le jour.
Les visiteurs de cet observatoire hybride bio-artificiel sont témoins d’une forme inhabituelle de communication et du déploiement d’un alphabet d’où émerge un langage spéculatif qu’ils doivent déchiffrer. Le système suggère des formes prospectives d’interactions entre des entités informatiques, carbonique et même xénobiologiques, qui pourraient potentiellement émerger à l’avenir.
Le concept
La renaissance de l’intelligence artificielle depuis sa commercialisation au milieu des années 2000 a suscité un mélange de crainte et d’excitation. En particulier, les récents succès de l’IA sont dus à l’avènement de l’apprentissage profond, une approche d’apprentissage automatique basée sur des réseaux neuronaux artificiels capables d’apprendre à partir d’informations. Cette technologie révolutionnaire redéfinit notre conception de la cognition, de la créativité, de la vie et du langage.
Quelle est la relation entre la vie, les symboles, le langage, la cognition, l’intelligence et la conscience ? Comment les symboles émergent-ils au sein de différents contextes : qui ce soit au coeur de cellules, du cerveau et des sociétés ? En particulier, les symboles et les langues sont-ils « vivants » et, si oui, de quelle manière ? Dans Xenolalia, les artistes abordent ces questions en intégrant trois types d’entités dans la création d’un nouvel ensemble de symboles : (1) un système d’apprentissage profond connu sous le nom de réseau neuronal auto-encodeur ; (2) une colonie microscopique d’algues photosynthétiques connus sous le nom d’Euglena gracilis—qui possèdent hypothétiquement une forme de proto-conscience ; et (3) la présence macroscopique d’observateurs humains qui projettent leur propre signification sur l’œuvre.
Le processus de recherche-création de l’œuvre est guidé par ces questions et constitue en soi une méthode d’enquête, tandis que l’œuvre elle-même agit comme sa réponse. Ces différentes formes de vie interagissent les unes avec les autres de manière symbiotique et en viennent à « imaginer » de nouveaux glyphes, générant ainsi un « alphabet vivant » en temps réel.
Processus
Si le travail de Sofian et TeZ implique de nombreuses considérations technologiques, toutes leurs décisions sont prises dans le but de créer une expérience interactive. Que voyons-nous, entendons-nous, touchons-nous ? Comment circule-t-on dans l’œuvre ? Que pouvons-nous ressentir et imaginer ?
L’un de leurs principaux objectifs était de trouver un équilibre entre les différents organismes en place. Ils ont cherché à préserver autant que possible l’autonomie des systèmes génératifs et à équilibrer la contribution des agents biologiques et informatiques, tout en créant une expérience qui puisse être perçue et interprétée par des agents humains.
Ces considérations sont au cœur de leur collaboration entamée il y a plusieurs années.
Ils se sont tous deux rencontrés au milieu des années 2010, en travaillant avec le codirecteur sortant d’Hexagram, Chris Salter, sur des projets de recherche-création. Sofian était alors un membre étudiant et TeZ, un membre collaborateur. Ils ont commencé à collaborer en 2017, alors que Sofian effectuait son postdoctorat au MIT. De 2017 à 2020, ils ont collaborer à distance et à travers une série de résidences à l’espace Optofonica de TeZ à Amsterdam, ainsi qu’au laboratoire Art & Artificial Agents (A3) de Sofian à l’Université du Maine et à l’Université Clarkson. Pendant leur séjour dans le Maine, ils ont collaboré avec le biologiste Nishad Jayasundara, expert en adaptation biologique liée aux changements environnementaux anthropogéniques. Avec ce dernier, ils ont affiné leur compréhension des conditions de croissance et de photosensibilité des colonies d’Euglena gracilis.
En raison de la pandémie, ils ont dû travailler à distance depuis le mois de février 2020, ce qui a considérablement compliqué et ralenti le processus de création. En 2021, ils ont néatoutefois présenté une documentation vidéo de leur processus dans le cadre du forum Hexagram MUTEK en 2021.
Les dernières étapes du processus de recherche-création ont été accomplies à Hexagram-UQAM dans la salle d’expérimentation lors d’une première résidence en octobre 2022 et d’une seconde et dernière résidence en mars 2023. Pendant la résidence d’octobre 2022, Sofian a travaillé sur l’automatisation complète de l’expérience, en incorporant le contrôle microfluidique qui permet de remplir la boîte de Petri avec les processus génératifs computationnels. Une des améliorations consistait à régler l’exposition de la boîte de Petri afin de donner suffisamment de temps aux microalgues pour se déplacer vers la lumière et ainsi de contribuer au processus génératif.
La dernière résidence à Hexagram, en 2023, fût la première occasion pour les artistes de collaborer en personne depuis 2020. Leur objectif principal était de peaufiner leur dispositif et de créer un format de présentation qui pourrait être expérimenté en temps réel par le public. Il s’agissait de créer un observatoire permettant aux visiteurs d’expérimenter l’œuvre à plusieurs échelles. La première semaine a été consacrée au renforcement des aspects techniques de l’installation. La deuxième semaine a été consacrée au fonctionnement de l’appareil, à la génération de glyphes et à la préparation de la présentation.
Open Lab
Lors du dernier jour de leur résidence, le 9 mars 2023, les artistes ont invité le public à expérimenter l’œuvre à la salle d’expérimentation d’Hexagram-UQAM. Dans le cadre de cet événement « open lab », les membres d’Hexagram Filip Dukanic, Alice Jarry et Ola Siebert ont été invités à répondre aux glyphes générés par l’appareil dans une forme inversée d’expérience d’IA générative. Des boissons et des hors-d’œuvre vivants ont été servis, notamment des œufs au kimchi faits à la main, du kombucha et de la spiruline. Plus de trente visiteurs sont venus découvrir ce travail fascinant et rencontrer les agents bio-informatiques qui ont participé à l’élaboration de cette expérimentation.
Crédits
Xenolalia est un projet conçu et réalisé par Sofian Audry & TeZ.
Collaborateur biologiste: Nishad Jayasundara
Assistants: Etienne Montenegro (codage, électronique, fabrication), Guillaume Cramoisan (fabrication), Matthew Loewen (codage), Ian Donnelly (biologie), and Brynn Yarbrough (biologie), Federico Murgia (vidéo), Kyan Daigneault (web), and Alexandra Lamoureux (web).
La documentation vidéo a été réalisée par Léa Martin, grâce au support du programme DÉMO de Hexagram.
Merci à l’équipe de Hexagram: Isabelle Boucher, Max Boutin, Victor Brayant, Manuelle Freire, Evelyn Leblanc, Anatole Michaud, et Jason Pomrenski.
Le project Xenolalia est supporté par Hexagram, le Conseil des Arts du Canada, le Conseil des Arts et des Lettres du Québec, le Fonds Mondriaan, l’Université du Maine et l’Université du Québec à Montréal.
Biographies
Sofian Audry est artiste, chercheur·euse, professeur·e de médias interactifs à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et codirecteur·rice du réseau Hexagram pour la recherche-création en art, culture et technologie. Leurs travaux artistiques et académiques explorent le comportement d’agents hybrides à la frontière de l’art, de l’intelligence artificielle et de la vie artificielle. Le livre d’Audry, Art in the Age of Machine Learning, examine l’art de l’apprentissage automatique et sa mise en pratique dans l’art et la musique (MIT Press, 2021). Leur pratique se décline sous de multiples formes, notamment la robotique, les installations, le bio-art et la littérature électronique.
Maurizio Martinucci (aka TeZ) est un artiste interdisciplinaire italien et un chercheur indépendant qui vit et travaille à Amsterdam. Il utilise la technologie comme moyen d’explorer les effets perceptifs et la relation entre le son, la lumière et l’espace. Il se consacre principalement à la composition générative de sons spatialisés pour des performances et des installations en direct. Dans ses œuvres, il adopte des logiciels et du matériel développés sur mesure, mettant en œuvre des techniques originales de sonification et de visualisation pour étudier et amplifier des phénomènes vibratoires subtils.
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