Le colloque LOST/AGAIN, présenté par Richy Srirachanikorn

Février 2023

« On est nostalgique non pas du passé tel qu’il était, mais du passé tel qu’il aurait pu être. »

C’est cette phrase tirée de The Future of Nostalgia (2001) de Svetlana Boym qui a incité Richy Srirachanikorn [membre étudiant, Concordia], étudiant à la maîtrise en sociologie au centre de recherche Technoculture, Arts and Games (TAG), à se pencher sur la façon dont nous utilisons nos outils numériques pour réaliser nos aspirations. Lorsque nous nous tournons vers le passé, nous sommes souvent PERDUS dans nos sentiments, nos souvenirs et nos émotions. Et cette quête entraîne souvent d’autres pertes : le temps passé loin des autres, les déchets électroniques produits par la promesse d’appareils perpétuellement nouveaux, et un souci constant du passé et de l’avenir qui nous empêche de vivre dans le présent.

Lorsque nous revivons nos souvenirs grâce à nos appareils technologiques, nous sommes à la recherche de tout ce qui est « perdu, » et lorsque la culture numérique est fixée seulement sur le passé et l’avenir, nous sommes constamment « à nouveau perdus ». Richy pose donc la question suivante : que pouvons-nous faire de ces expériences ? La nostalgie numérique peut-elle être socialement bénéfique ?

Les médias peuvent-ils révéler ce qui a été perdu, pour éviter de telles pertes à l’avenir ?

En se concentrant sur une forme de nostalgie créative, Richy et ses collègues du centre de recherche TAG ont fondé le réseau Nostagain afin de réunir des artistes, des spécialistes des jeux et des artistes médiatiques pour réfléchir à cette question. Cela a conduit au lancement de leur premier symposium : LOST/AGAIN Digital/Nostalgia le 4 février 2023 à l’Institut Milieux.

Lors du symposium, Richy a présenté un atelier intitulé Global Warning, qui consistait en un grand tableau mobile avec quatre grands papiers collés sur une toile de fond bleue. Tout au long de la journée, les participants ont été encouragés à inscrire l’objet de leur nostalgie sur le tableau. À la fin du symposium, le tableau était rempli de titres de dessins animés ayant marqué l’enfance, d’événements mondiaux importants, de souvenirs de la vie avant la pandémie et de médias obscures. Global Warning a démontré l’argument de Richy selon lequel nous sommes constamment « à nouveau perdus » dans notre avenir et notre passé. En d’autres termes, nous sommes devenus des nostalgiques à temps plein. Vers la fin du symposium, Richy a invité quatre volontaires à déchirer les feuilles de papier sur le mur, en laissant derrière eux des formes prédécoupées qui ont été collées sur la toile de fond. Ce qui restait était une fresque murale ressemblant à la fonte des glaciers.

Cette recherche-création est en phase avec la conception de la chronophobie de Svetlana Boym (2001), c’est-à-dire l’anxiété et la paralysie qui émergent de l’expérience du transitoire, “perdus » dans le passé ou dans le futur. L’image qui ressort de Global Warning présente trois aspects essentiels de la question de recherche de Richy. Premièrement, la nostalgie n’est pas une expérience individuelle, mais collaborative. Ce « mur nostalgique » a été rempli tout au long de la journée par un effort collectif, sans lequel, il serait resté une toile vierge. Cependant, bien que le mur soit rempli de souvenirs nostalgiques, aucune inscription ne peut à elle seule rendre compte de ce que signifie vraiment la nostalgie. Le souvenir du chien de notre enfance ou le désir de rentrer chez soi sont tous des éléments nostalgiques, mais ils ne sont pas vécus de la même manière par chacun d’entre nous. Ainsi, la nostalgie nécessite la collaboration des participants pour communiquer ce à quoi ils aspirent et pourquoi ils aspirent à quelque chose. Deuxièmement, même après avoir déchiré le mur, certains mots et certaines phrases n’ont pas été totalement effacés. Pourtant, eux non plus ne parvenaient pas à saisir ce qu’était la nostalgie. Les choses sont devenues floues lorsque des phrases écrites par différentes personnes pouvaient être lues ensemble après la découpe du mur. Cela évoque l’idée que nos souvenirs et nos histoires sont souvent perdus ou embrouillés. 

Lorsque nous nous fixons sur le passé ou l’avenir, la temporalité de la nostalgie fond comme les glaciers du « présent en voie de disparition » (Boym 2001:351). Si la nostalgie peut rapprocher les gens, elle peut aussi les opposer, car personne se souvient de tout ce qui a été perdu (de la même manière). Richy conclut donc que les activités de recherche-création telles que le mur Global Warning peuvent enseigner ces leçons après avoir incité les gens à « se perdre à nouveau », en déchirant les objets dont ils se sont souvenus sur le tableau. En soulignant la nature précaire mais sociale de la nostalgie, nous avons « trouvé » le potentiel génératif de choses qui ne sont pas numériques (par exemple, le mur du tableau) et qui peuvent nous en apprendre sur la relation entre technologie et aspirations. En ce sens, Global Warning n’était pas seulement un mur de la nostalgie, mais aussi un mur nostalgique, nous rappelant de vivre de manière responsable, bienveillante et attentive, alors que nous nous dirigeons vers un avenir que la prochaine génération « trouvera » dans son présent.

En tant que spécialistes des médias, artistes et consommateurs, nous avons tous en nous le potentiel de vivre la nostalgie de manière créative. C’est ce qui a motivé le symposium LOSTAGAIN/NOSTALGIA, qui a réuni des participants de 8 universités de 3 pays différents. Le symposium était divisé en deux thèmes : POTENTIALITÉS DU PASSÉ et L’AVENIR EST NÉ, avec des panélistes et intervenants qui ont présenté les possibilités génératives de la nostalgie.

Par exemple, les artistes Leo Morales (BA, Computation Arts) et Annie Harrisson (PhD, Communications) à Concordia ont organisé un atelier intitulé Les traces de la mémoire, invitant les participants à dessiner l’enfant qui est en eux sur du papier ou sur un pochoir qui leur était offert. Pendant ce temps, Annie et Leo discutaient avec les participants, dessinant à leurs côtés. Au fur et à mesure que les participants partageaient l’histoire derrière leurs croquis, ils cessaient de dessiner avec les pochoirs et commençaient à raconter/dessiner leurs histoires à main levée. L’objectif de l’atelier était de retracer la mémoire elle-même. Les participants ont été invités à réfléchir à la manière dont ils ont choisi de rendre compte de leur nostalgie, en utilisant des outils qui exagèrent, minimisent ou modifient complètement le souvenir. Comme nos appareils numériques, ces outils nous offrent différentes modalités d’engagement avec notre passé, toujours et à jamais partiellement remémoré.

CRÉDITS

L’équipe Nostagain : Leo Morales, Derek Pasborg, Annie Harrisson, Shahrom Ali, Rowena Chodkowski, Poki Chan, Alex Custodio, Richy Srirachanikorn

Photographies de l’événement: Michael Iantorno, Shahrom Ali, Shirley Ceravolo “Swarm”, Juan Miceli

Video: Milieux Institute, Liam Byrne, Richy Srirachanikorn


Ne manquez pas de suivre les activités du réseau ! Pour joindre ou vous impliquer au sein du réseau Nostagain, veuillez visiter la page suivante : https://nostagain.ca

Leur prochain atelier et événement, intitulé The Spaces We Lost, and Nostalgia Recalled, aura lieu le samedi 18 mars 2023, de 13 h à 16 h, à l’Institut Milieux (11e étage du bâtiment EV, Concordia).

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