DEMO34 Mélodie Claire Jetté – Microosmoses

Juillet 2023

Présentée en avril 2023 à la salle d’expérimentation d’Hexagram, Microosmoses est une exposition installative et vidéographique réalisée par Mélodie Claire Jetté [membre étudiante, UQAM]. Cette exposition est l’aboutissement de sa recherche-création à la maîtrise en arts visuels et médiatiques, qu’elle a réalisée sous la supervision de Gisèle Trudel [membre cochercheur, UQAM]. Issue d’une réflexion sur la collaboration conçue en tant qu’alliance singulière et créatrice entre différentes formes de vivants, Microosmoses propose des microcosmes dans des flacons de verre soufflé conçus sur mesure où coexistent des milliards de microorganismes, formant des communautés symbiotiques qui ne cessent de s’influencer et se contaminer mutuellement.

Puisque cette recherche souhaite mettre de l’avant la relation entre l’artiste et les microorganismes, l’expression recherche-[co]création apparaît plus juste pour décrire les tenants et aboutissants de cette étude collaborative. Par ailleurs, parmi les microcollaboratrices qui ont participé à cette recherche, soulignons l’apport des bactéries : Acetobacter species, Gluconobacter, Komagataeibacter, Lactobacillus, Lactococcus, Leuconostoc, ainsi que des levures : Brettanomyces/Dekkera Candida Kloeckera/Hanseniaspora, Kluyveromyces, Lachancea, Pichia, pour ne nommer que celles-ci (Villarreal-Soto et al. 2018, 581-582).

La démarche artistique s’articule principalement autour du processus de fermentation, une biotechnologie ancestrale qui implique des cultures de microorganismes. Les communautés microbiennes participant à cette recherche proviennent du kombucha, un thé sucré, fermenté par des levures et des bactéries en relation symbiotique.


Alliances et collaborations interespèces

Cette caractéristique de « relation symbiotique », intrinsèque au processus de fermentation que la notion de collaboration prend son ancrage pour devenir un élément fondateur de cette recherche-[co]création. C’est d’ailleurs avec le vif désir de prouver qu’il était possible de vivre des expériences de collaboration avec d’autres entités que celles humaines que Mélodie Claire Jetté a entrepris ce projet artistique. Pour y arriver, il lui était nécessaire de remettre en question le concept de collaboration, compris souvent comme étant une sorte de processus de travail où des personnes consentent à s’associer dans l’atteinte d’un objectif commun. Or, il s’agit ici de reconnaître l’existence et les perspectives d’entités non humaines, d’être attentive à leurs (ré)actions et leurs façons de faire pour ainsi valoriser leur participation intrinsèque au processus de cette recherche. Cette approche a permis à l’artiste et aux microorganismes d’interagir ensemble. Certes, il a fallu inventer ces espaces et ces occasions de « création-avec », mais il était également nécessaire pour l’artiste d’adopter une attitude inclusive, respectueuse et empathique envers eux, un engagement continu.


Des alliances humaines et la collaboration du verre

D’autres alliances et collaborations ont contribué à la réalisation de Microosmoses.

Bien que la présence des levures et des bactéries qui composent les microcosmes se manifeste entre autres par la création d’un biofilm, Mélodie Claire reste motivée par son désir de voir ces microcollaboratrices en pleine action. C’est ce qui l’amène à réaliser en atelier, une caméra-microscope (lentille x200) de type DIY, qu’elle confectionne à partir d’un nano-ordinateur (Raspberry Pi). Stupéfaite de pouvoir rendre visibles ces entités inobservables à l’œil nu, elle contacte ensuite Grégoire Bonnamour de la plateforme de microscopie du département des sciences biologiques de l’UQAM afin de capter des images et des vidéos de meilleure qualité. Pour Microosmoses, un échantillon prélevé in situ de l’installation est ainsi mis sous lentille pour être capté et aussitôt intégré à l’œuvre.

Parallèlement, dans le but de créer ses propres habitats pour communautés microbiennes, l’artiste suit deux séances intensives de verre soufflé à l’école Espace Verre à Montréal. En plus d’y acquérir des connaissances sur la pratique du verre soufflé, elle y fait la rencontre de la professeure et artiste verrier Catherine Benoit, à qui elle propose une collaboration pour la confection des quelque quarante récipients présentés lors de l’exposition de Microosmoses. Catherine Benoit a ainsi offert son expertise à Mélodie Claire Jetté, qui, inspirée des microorganismes (tel que vus au microscope), spécifiait la forme des récipients à souffler tout en participant à leur élaboration. 

Crédit: Ethel Laurendeau

Durant les expérimentations qui ont mené à la forme définitive de l’installation, des tests de projection ont été menés pour le positionnement des projecteurs. La diffusion de la vidéo au travers des microcosmes de verre suspendus a révélé d’impressionnantes réfractions sur le mur.

Notes du carnet réflexif de l’artiste

Seule dans la pénombre de la salle aux rideaux tirés, j’explore différentes mises en espace pour la projection. Je me déplace au travers de l’installation et observe silencieusement. Certains emplacements de projecteurs offrent d’intéressants débordements de microbes en mouvement sur les murs, le plafond, la colonne, le sol ou encore sur mon corps. Au milieu des microcosmes suspendus, je suis inondée de bactéries dansantes. Je repense, à toutes celles qui m’habitent, à cette collaboration invisible et inconsciente qui nous unit à tout moment et à ce « cosme » ambulant que nous formons. Quelle est la portée de l’influence que nous exerçons les unes sur les autres ?

[Quelques jours plus tard, durant le jury de cette maitrise où prenait part le biologiste et bioartiste François-Joseph Lapointe [membre cochercheur, Université de Montréal], une discussion est lancée sur l’hypothèse que, dans une certaine mesure, mon microbiote serait peut-être à l’origine de cette recherche-[co]création, m’ayant en quelque sorte guidé (à mon insu) vers cette proposition artistique. Ce revirement m’apparait ici, hautement stimulant pour repenser la place de l’humain comme n’étant pas au centre de toutes les préoccupations. Citation reproduite avec la permission de l’auteur.]

C’est ainsi qu’au fur et à mesure que s’est développée cette recherche-[co]création, il s’est également développé une relation entre vivants bactériens, humains et non humains. Une relation dynamique et évolutive que l’artiste nomme intuitivement « biorelationnel », pour rendre hommage à ce lien d’interconnectivité spécifique propre à ce contexte de création artistique.

Revisitez l’exposition par ici…

Mélodie Claire Jetté reconnait l’appui financier de Médiane Chaire de recherche du Canada en arts, écotechnologies de pratiques et changements climatiques ainsi que l’apport précieux d’Hexagram-UQAM et d’Hexagram, réseau de recherche-création en arts, cultures et technologies.

Elle tient également à souligner le très stimulant travail de collaboration avec Catherine Benoit, artiste verrier et de son assistante Jennifer Gaumer, ainsi qu’avec Grégoire Bonnamour de la plateforme de microscopie du département des sciences biologiques (UQAM) ainsi que la générosité de Yanik Love et de Fous de l’ile Kombucha.

Biographie

Mélodie Claire Jetté a d’abord fait des études au baccalauréat en enseignement des arts pour ensuite poursuivre à la maîtrise en création des arts visuels et médiatiques (UQAM). Sa pratique s’est notamment développée autour de l’expérience relationnelle en explorant plusieurs projets qu’ils soient de type collectif, interactif, socioartistique, Happennig, ou encore d’accompagnement par l’art dans la communauté. Elle a également participé à une dizaine d’expositions collectives.


Ces expériences l’ont amenée à réfléchir à son rapport à l’Autre. Elles ont transformé significativement sa façon d’être au monde. Elle cherche maintenant à interroger son rapport à l’Autre vivant plus qu’humain en élargissant la conception de l’art relationnel au-delà du champ social humain, pour penser la relation en termes d’expérience sensible. Elle cherche ainsi à découvrir, voire inventer une pratique qu’elle appelle « biorelationnelle » pour élaborer de nouveaux modes d’échanges et de collaboration avec diverses formes de vie.

Cette publication est également disponible en : English (Anglais)